Susan Rice, conseillère à la Sécurité nationale du président Obama, avait donné il y a quelques semaines un entretien au New York Times, qui revenait sur la revue stratégique engagée par Obama pendant l’été 2013 à la Maison Blanche (au NSC, le Conseil à la sécurité nationale) : cette revue avait conduit à la définition d’une stratégie américaine « plus modeste » pour le Moyen-Orient, dont on avait déjà eu un aperçu avec le discours d’Obama à l’Assemblée générale de l’ONU fin septembre 2013. Les priorités américaines dans la région ont donc été redéfinies ainsi : accord avec l’Iran, processus de paix israélo-palestinien, Syrie. Tout le reste passe au second plan. Rice défend la notion que les Etats-Unis ne peuvent être absorbés entièrement par une seule région du monde. Obama de son côté avait expliqué lors de son discours à l’ONU que l’action unilatérale américaine ne pouvait avoir qu’une influence limitée sur la situation interne des pays du Moyen-Orient.
Retour sur le premier round des négociations de Genève
Sur l’échec du premier round de négociations à Genève, la discordance a d’abord été frappante entre les comptes-rendus français et américains : ainsi Kerry s’est refusé à critiquer la France, affirmant l’unité des Occidentaux, et expliquant que l’Iran avait hésité à la dernière minute, alors qu’en France la presse expliquait que l’arrivée de Fabius avait permis d’éviter un mauvais accord. Cet article de Foreign Policy est un bon résumé de ces narrations distinctes. Lire aussi dans le Guardian ce bon compte-rendu d’ensemble du premier round de Genève. A Washington et notamment au Congrès, Fabius et la France étaient, pour la troisième fois (après le Mali, la Syrie, et aujourd’hui donc l’Iran), célébrés en héros par les néoconservateurs de Washington. Ceux-ci ont d’ailleurs critiqué la version des faits donnée par Kerry qui écartait le rôle de la France.
L’urgence côté américain, le rôle du Congrès
Il fallait prendre de vitesse le Congrès où la totalité des républicains mais aussi plusieurs leaders démocrates (capables de faire avancer la législation au Congrès) étaient favorables au vote de nouvelles sanctions contre l’Iran ; surtout, l’administration Obama était consciente qu’il fallait aller vite pour éviter de laisser le temps aux lobbyistes de présenter les faits sous un autre jour. Or comme l’explique cet article, tout le monde avait bien compris ce timing serré pour la signature de l’accord provisoire de 6 mois (intérimaire), « sauf les Français ».
Et en effet, l’échec du premier round a donné lieu à une véritable guerre de l’information entre la Maison Blanche et Israël au Congrès, avec la pression exercée, sans surprise, par AIPAC, pour essayer d’influencer la lecture des parlementaires américains. Kerry et Biden, venus briefer leurs anciens collègues, vont faire face à un grand scepticisme du Congrès, effet de ce lobbying – avant la venue d’Obama lui-même au Capitole.
Très clairement, les républicains, pourtant désunis sur tout et notamment sur les dossiers de politique étrangère, sont unis sur l’Iran – contre tout allègement des sanctions avant d’obtenir des garanties vérifiables sur l’Iran. Problème pour l’administration Obama : plusieurs démocrates et non des moindres (notamment le président de la Commission des affaires étrangères du Sénat Robert Menendez, ou encore le numéro trois du Sénat Chuck Schumer) sont alignés sur position des républicains favorables à de nouvelles sanctions.
Autre motivation pour aller vite : Comme le souligne non sans humour cet article, l’Iran aussi a ses faucons à gérer (son propre « Tea Party problem »). Et cette revue de presse iranienne sur le site de la Brookings montre que les inquiétudes de l’administration Obama après l’échec du premier round de Genève étaient en effet justifiées.
Pour autant, en dépit de la pression du Congrès, les sondages ont montré que la majorité (64%) des Américains est favorable à un accord avec l’Iran contre seulement 30% qui s’y opposent. Même chose du côté des experts de politique étrangère puisqu’un groupe de 79 anciens responsables ont écrit à Obama pour soutenir sa diplomatie avec l’Iran.
Par ailleurs, Obama a les moyens de court-circuiter le Congrès pour alléger les sanctions, dans un premier temps du moins, et il l’a d’ailleurs déjà fait depuis que les discussions ont été engagées pendant l’été (et tout particulièrement pendant le shutdown d’octobre, où le bureau chargé de la mise en œuvre des sanctions contre l’Iran a été l’un des premiers à fermer). Et il lui reste encore de la marge de manœuvre car il existe dans toutes les lois de sanctions (comme dans toutes les lois d’aide du Congrès) des dispositions permettant à l’Exécutif « d’écarter » (waivers) certains aspects pour diverses raisons dont la sécurité nationale, concept qui laisse une certaine marge d’appréciation.
Le président a pourtant dû aller briefer personnellement le 19 novembre le leadership du Sénat pour obtenir un délai de quelques jours avant un nouveau vote de sanctions contre l’Iran (avec le danger de donner des arguments aux faucons de Téhéran, mais aussi de fracturer le groupe des pays impliqués dans la négociation). Les discussions ont illustré à nouveau l’étendue des divisions entre la Maison Blanche et le Congrès américain. Comme le rappelle cet article, il y a 34 années d’antagonisme à surmonter.
Le contenu de l’accord du 23 novembre
Résumé par David Sanger du New York Times, principaux points et premières réactions après l’accord signé à Genève. Toujours dans le New York Times, cette analyse qui explique que ce mouvement de la politique étrangère américaine, de l’utilisation de l’outil militaire vers celui de la diplomatie est ce qu’Obama a toujours voulu faire depuis le début – tout ce qui précède relevant du « solde des années Bush ».
A lire aussi ce compte-rendu détaillé de Reuters qui remonte aux premières discussions qui auraient eu lieu entre Américains et Iraniens dès le mois de mars 2013 (voire 2011 selon d’autres sources), soit avant la victoire de Rouhani. Les diplomates impliqués se seraient rencontrés notamment à Oman, ce que les journalistes décrivent comme la ligne de communication de Kerry (« the Kerry channel ») mise au point par l’actuel secrétaire d’Etat alors qu’il était encore sénateur et qu’il dirigeait la puissance Commission des affaires étrangères du Sénat américain.
La réussite du deuxième round à Genève, dans la nuit du 23 au 24 novembre, si elle a été saluée par le monde entier à l’exception d’Israël, n’a pas empêché les parlementaires américains, y compris certains sénateurs démocrates, d’appeler au vote de nouvelles sanctions contre l’Iran – une loi qui pourrait cependant ne s’appliquer qu’au terme du délai de 6 mois de l’accord intérimaire conclu à Genève, mais en revanche avec des dispositions automatiques au moindre signe de « tromperie » de la part des Iraniens. A noter cependant, la sénatrice Diane Feinstein, qui préside la Commission du renseignement du Sénat, a applaudi l’accord signé à Genève. En réalité, il semble bien que la nouvelle loi en préparation, si vote il y a, réponde de toute façon aux souhaits de la Maison Blanche : retarder de 6 mois l’application de nouvelles sanctions, tout en maintenant la pression si l’Iran ne remplissait pas ses obligations nées de l’accord provisoire (« good cop bad cop » classique).
Consulter la « Fact Sheet » communiquée par la Maison Blanche quelques heures après la fin des négociations à Genève et la signature de l’accord.
Tour d’horizon par les experts de la Brookings au lendemain de la signature de l’accord : lire notamment l’analyse de Robert Einhorn, pour qui l’accord est une réussite qui va au-delà de ses attentes ; Suzanne Malooney, qui se penche sur les réactions en Iran, explique de son côté que désormais « tout est possible mais rien n’est inévitable » au vu de la situation interne iranienne ; enfin Shadi Hamid considère que s’il s’agit d’un premier pas afin que Washington soit moins absorbé par le Moyen-Orient et puisse se concentrer ailleurs, c’est une réussite.
On lira aussi cet article du Washington Post qui recense les réactions de plusieurs éminents politologues à l’accord de Genève : en particulier, cet article (favorable) de Stephen Walt, professeur de relations internationales à Harvard ; et ceux, plus circonspects, de Peter Feaver, professeur de science politique à Duke University, ou encore de Matthew Kroenig, professeur à Georgetown University.
Enfin on notera ces deux articles intéressants sur la réaction des Saoudiens, dans le New York Times et dans la revue The Atlantic. Enfin, on pourra lire ce tour d’horizon des réactions en Israël, pas toutes négatives en réalité.
A suivre…