Je suis très heureuse de vous présenter mon livre paru aujourd’hui aux Editions Perrin. Le projet est né en 2014 d’une communication présentée lors du colloque annuel de l’AFEA, et a mûri ensuite à travers d’autres conférences, échanges et articles – les lecteurs du blog reconnaîtront certains passages déjà présentés ici. Il s’agit d’un essai historique, réflexion sur l’évolution du rapport des Etats-Unis au reste du monde au cours de leur histoire, où j’ai voulu intégrer le plus possible les apports de l’historiographie récente (voir la bibliographie, sélective, que je reproduis ici en fin de post).

Vous pouvez lire ici la présentation de l’éditeur. Je présente à la suite un extrait de l’introduction.

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Extrait de l’introduction:

Cet ouvrage propose de réexaminer l’histoire du rapport au monde des Etats-Unis depuis la naissance du pays, avec une attention particulière au lien entre actions extérieures et évolutions internes. L’évolution de la politique étrangère américaine est également inséparable des soubresauts et aléas de l’identité américaine, définie par la notion d’exceptionnalisme, ancrée dans la naissance et l’histoire du pays. Le propos de ce livre est que la politique étrangère des Etats-Unis est aussi, et toujours, de la politique intérieure, car le peuple est au cœur du système politique américain, y compris, cas relativement unique, en politique étrangère : une certaine adhésion populaire a toujours été nécessaire, même si elle n’exclut pas une certaine manipulation. Si la prise en compte de l’opinion publique dans la mise en œuvre de la politique étrangère semble de plus en plus généralisée dans de nombreux régimes politiques, il reste que les Etats-Unis ont été un pays précurseur en la matière, et cette pratique ancienne explique certaines originalités de l’élaboration de la politique étrangère américaine, ainsi que ses variations historiques.

Le propos central, ici, est également de réexaminer un certain nombre de mythes sur la politique étrangère des Etats-Unis. En particulier, le prétendu isolationnisme des Etats-Unis jusqu’à la fin du XIXe siècle (qui n’a jamais existé, sauf à considérer l’expansion continentale comme de la politique intérieure – Amérindiens et Mexicains, entre autres, apprécieront), la rupture de 1898 qui marquerait la naissance de l’impérialisme américain (alors que la notion d’empire est présente dès l’origine du pays, et fréquemment invoquée par ses Pères fondateurs), ou encore le début du siècle américain. L’enjeu fondamental est de rappeler l’influence des questions intérieures sur la politique extérieure, influence qui découle de la place unique du Congrès dans le processus de décision en politique étrangère, qui est avant tout un processus de groupe, où les acteurs privés ont également toute leur place, et ce dès l’origine du pays.

Au-delà, il s’agit de remettre en question une vision classique de la politique étrangère américaine, qui résulte d’une réécriture délibérée de l’histoire du pays par la génération des années 1950, afin de défendre la politique extérieure de la guerre froide et de construire un soutien populaire à une stratégie en rupture complète, sur certains points, avec l’histoire antérieure des Etats-Unis. Cette construction influence encore la vision de la politique étrangère américaine, que ce soit par les observateurs extérieurs ou par les Américains eux-mêmes, alors qu’elle repose sur la fabrication consciente de mythes sur la relation américaine au monde, et sur l’identité du pays, lectures largement remises en question par l’historiographie récente, si ce n’est la science politique. Ainsi, les Etats-Unis n’ont quasiment jamais été isolationnistes, en dehors de quelques périodes très restreintes de leur histoire. Et tous les présidents américains, de George Washington à Donald Trump, ont envoyé des soldats combattre à l’étranger. Mais l’erreur majeure la plus répétée est sans doute de voir toute la thématique de la conquête de l’Ouest et de la frontière traitée comme de la politique intérieure – sauf à défendre l’idée que l’acquisition de nouveaux territoires appartenant à d’autres pays ou peuples serait de la politique intérieure. En réalité, l’expansion du XIXe siècle est de la politique extérieure et participe d’un continuum depuis la fondation du pays, que l’on peut résumer par l’ambition déjà exprimée par George Washington : la construction d’une grande puissance.

L’exceptionnalisme américain a une double signification, qui n’a en soi rien d’unique – la France, pour ne citer qu’elle, a également une conception messianique et universaliste de sa politique étrangère. Il exprime, d’une part, l’identité du pays, la notion d’un peuple élu réalisant un destin unique et universel sur la terre promise du continent nord-américain. Mais l’exceptionnalisme définit également, d’autre part, la politique étrangère américaine, comme mission reposant sur la conviction d’un rôle unique et spécial dévolu au pays parce qu’il serait le plus qualifié pour guider le monde vers la paix et la prospérité globales, en raison de ce que les Etats-Unis sont, ou du moins pensent être : un pays défini par un processus politique unique et terre de libertés, mais aussi société d’abondance promettant la réalisation d’un « bonheur » matériel promis par la Constitution américaine, le tout dépendant d’un modèle supposément diffusable et reproductible par tous et partout dans le monde. Une vision qui n’inclut pas le versant sombre de l’histoire américaine, ce qui explique l’entreprise de redéfinition de l’exceptionnalisme tentée par Barack Obama, un exceptionnalisme incluant le progrès continu mais aussi le côté obscur de la psyché américaine.

La notion d’exceptionnalisme traduit ainsi non seulement l’idée du caractère unique de l’expérience américaine, mais aussi le présupposé d’une coïncidence entre les intérêts américains et la prospérité mondiale, l’idée d’une puissance bénéfique et donc d’une hégémonie acceptable. Elle suppose une croyance en la supériorité du modèle américain : or c’est bien cette croyance qui est battue en brèche, non seulement dans le monde depuis quelques décennies, mais désormais, et surtout, par les Américains eux-mêmes dans leur majorité, et pour la première fois de leur histoire.

Le rêve américain fait de moins en moins rêver, et ce fait ébranle la conception que les Américains ont d’eux-mêmes, ainsi que leur relation au reste du monde. C’est aujourd’hui la principale rupture, mais non la seule : la place de l’Europe et la force du lien transatlantique sont également bousculés, de même que le fonctionnement du système politique et le respect de la Constitution de 1787, remis en cause par trois phénomènes liés entre eux – l’extrême division de la société américaine contemporaine, l’état de guerre permanente dans lequel s’est installé le pays, et une présidence toujours plus impériale.

En podcast: j’ai eu le plaisir d’en parler dans l’excellente émission Cultures Monde (France Culture) qui faisait cette semaine une série spéciale sur les Etats-Unis: Politique étrangère: la fin du siècle américain

Vous pouvez l’acheter dans votre librairie de quartier (j’espère), le commander sur le site de l’éditeur, sur Fnac ou Amazon, etc.

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Bibliographie sélective:

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