Ma dernière chronique Hors Normes porte sur la candidature de Robert Kennedy Jr., candidat indépendant et potentiel « spoiler » du duel Biden Trump de novembre 2024.

Par Tom Williams — CQ Roll Call, Domaine public

Autant vous le dire, j’ai failli titrer cette chronique « Sexe, Tech et Complotisme ». Je n’ai pas osé, je tiens à ma réputation de sérieux ainsi qu’à celle d’Hors Normes. Mais vous voilà prévenus.

Robert Kennedy Junior a donc confirmé les rumeurs cette semaine en annonçant choisir comme vice-présidente Nicole Shanahan, 38 ans, avocate et entrepreneure tech de la Silicon Valley. Elle était inconnue du monde politique jusqu’au Superbowl, la finale du championnat de football américain aux 123 millions de spectateurs: ils ont pu découvrir une publicité de campagne pour RFK fleurant bon la nostalgie des sixties et de son illustre aïeul assassiné en 1963, le président John Kennedy, frère de son propre père, Robert « Bob » Kennedy, assassiné également alors qu’il se présentait à la présidentielle 1968. On a appris peu après que ce graal de la pub de campagne, la plus vue et donc la plus chère, avait été financée grâce à un don de 4,5 millions de dollars de Nicole Shanahan. Depuis lors, les rumeurs allaient bon train sur son rôle dans la campagne RFK.

RFK: ni droite ni gauche et de tous les complots

Robert Kennedy Junior, dit RFK, se présente comme un candidat « ni droite ni gauche », antivax, anti-guerre sauf s’agissant d’Israël, pro-environnement mais quand même pro-bitcoin, anti-NRA mais pro-Second amendement, et qui n’a jamais rencontré un complot qui ne lui plaisait pas. On peut se faire une idée avec cette vidéo où il explique, pendant un événement média à New York, que le Covid « a été ethniquement ciblé » pour « attaquer les personnes caucasiennes et noires » alors que les « personnes les plus immunisées sont les juifs ashkénazes et les Chinois » – le combo-complot qui coche toutes les cases.

Rejeton de la plus mythique dynastie politique américaine, RFK est omniprésent dans les médias où il crie à la censure et répète « qu’on ne peut plus rien dire ». Le complotisme l’a sauvé de l’anonymat en lui permettant de se distinguer de ses 10 frères et sœurs et des dizaines de Kennedy actifs à différents niveaux de la politique américaine, toujours côté démocrate. Il y a encore aujourd’hui trois Kennedy dans l’administration Biden par exemple. Toute la famille est horrifiée par les propos de Junior et n’a de cesse de dénoncer publiquement sa candidature.

RFK a introduit sa VP comme une « collègue avocate » à la « riche expérience dans la tech », « quelqu’un qui partage ma passion pour les aliments sains, sans produits chimiques, pour une agriculture régénératrice, pour de bons sols ». Elle est aussi pour la paix dans le monde et l’harmonie avec la nature. Contrairement à RFK, elle a tenu à préciser qu’elle « n’est pas forcément contre les vaccins » et « ne fait que poser des questions ». Elle entend rassembler « tous les déçus de la politique, les déçus du parti démocrate et les déçus du parti républicain », en écho à RFK qui répète qu’il faut arrêter de voter pour le « parti unique » – uniparty, expression favorite de Steve Bannon, qui rappelle l’“UMPS” de Le Pen.

De héros MAGA à marxiste radical

Kennedy avait lancé sa campagne en avril 2023 contre Biden, en tant que démocrate, ADN politique de sa famille depuis quatre générations. Un rêve pour la galaxie MAGA-Trump, qui explique son omniprésence dans l’écosystème médiatique de droite pendant quelques mois, du podcast de Steve Bannon au show de Joe Rogan en passant par Tucker Carlson sur X et Sean Hannity sur Fox. Sa candidature avait aussi été adoubée par Jack Dorsey, le fondateur de Twitter, et promue sur X par Elon Musk et David Sacks lors d’une interminable interview l’été dernier.

Alors qu’il aime dénoncer les milliardaires, RFK a décrit David Sacks et Elon Musk (deux anciens de la PayPal Mafia) comme des hommes « incroyablement patriotiques et incroyablement attachés à la démocratie ». Bannon de son côté a déclaré que Trump devrait choisir Kennedy comme vice-président. Ron DeSantis l’envisageait comme membre de son administration quand il pensait avoir une chance de battre Trump aux primaires. Quant à Kennedy, il a déclaré : « je suis fier que le président Trump m’apprécie ».

Las, en octobre, RFK annonçait qu’il quittait le parti démocrate pour se présenter comme indépendant.

Trump le qualifie désormais de « plus extrême des marxistes radicaux » dans la course, honneur jusqu’ici réservé à Biden.

Car RFK pourrait être le plus gros spoiler depuis l’élection de 1992 et la candidature du milliardaire texan Ross Perrot qui avait fait pencher la balance pour Bill Clinton. Les sondages le montrent systématiquement au-dessus de 10%, 13% dans un sondage Fox récent, jusqu’à 20% dans certains États. Or l’élection va se jouer dans quelques États-clés, et quelques dizaines de milliers de voix allant à RFK plutôt qu’à Biden ou Trump pourraient changer le résultat final.

Les rumeurs concernant Shanahan se précisaient depuis une semaine.

Or, soudain, dimanche 24 mars, Musk a tweeté « il faut une vague rouge ou l’Amérique est foutue ». Les rouges ce sont les républicains bien sûr. En clair, le premier soutien direct de Musk à Donald Trump; les rapports entre les deux hommes étaient notoirement mauvais même si Musk a clairement basculé côté républicain depuis le Covid. Mais il avait d’abord soutenu Ron DeSantis, puis Kennedy, bref des candidats qui n’étaient pas Trump.

Le nerf de la guerre

Côté démocrate, le sens de l’arrivée de Nicole Shanahan sur le ticket Kennedy est clair : « Ce que cela signifie pour la campagne de Kennedy, c’est une chose et une seule: l’argent », a déclaré Matt Bennett, cofondateur du groupe de centre-gauche Third Way, qui se préoccupe du défi des candidats qui pourraient faire perdre Biden. Car Shanahan est très riche, et la source de sa fortune est intéressante.

Nicole Shanahan s’est mariée en 2018 avec Sergey Brin, co-fondateur de Google, l’un des hommes les plus riches du monde, rencontré dans un cours de yoga de la Silicon Valley. Le couple a eu une fille et s’est séparé en 2021. Brin a demandé le divorce en 2022. La séparation a fait l’objet d’une attention mondiale quand le Wall Street Journal a rapporté que la rupture du couple avait été provoquée par une brève liaison entre Shanahan et… Elon Musk, ami proche de Brin, qui avait investi dans Tesla et sauvé l’entreprise en grande difficulté peu avant. Selon l’article, la liaison aurait brisé l’amitié entre les deux titans de la tech, bien que Musk se soit agenouillé publiquement lors d’une soirée pour demander pardon à Brin, qui a quand même demandé le divorce. Toujours selon le Journal, Shanahan aurait demandé un milliard de dollars à son ex-mari pour régler le divorce (Brin pesait alors 98 milliards).

Ce que RFK dit de la politique américaine en 2024

Le tweet de Musk montre que la candidature RFK fait peur côté républicain aussi. La Silicon Valley aime les disrupteurs, mais la droite tech veut faire perdre Biden et s’est clairement ralliée à Trump.

Il montre aussi que la Silicon Valley est un tout petit monde, et que ce petit monde pèse de plus en plus dans la politique américaine.

RFK se décrit comme le spoiler de l’élection 2024. Désormais, les deux partis s’en inquiètent et craignent qu’il fasse gagner l’adversaire.

Si le retour du duel Biden Trump évoque 2020, les dynamiques de cette campagne sont en effet plus proches de 2016, avec deux candidats qui battent les records d’opinions défavorables, des électeurs fatigués et encore abasourdis d’avoir un remake de 2020 (on les comprend), et des candidats indépendants susceptibles de faire basculer des États-pivots. C’est ce qu’il s’est passé en 2016, où Clinton a gagné le vote populaire de plus de trois millions de voix, mais a perdu le Collège électoral à quelques dizaines de milliers de voix près dans trois États, où ces voix se sont notamment portées sur des candidats de tiers partis.

RFK séduit en particulier les indépendants et les abstentionnistes. Or le dernier candidat à avoir créé la surprise en parvenant à mobiliser des électeurs qui ne votaient pas était Trump en 2016.

Cette candidature en dit long surtout sur l’état de la démocratie et du système politique aux Etats-Unis. Je vous renvoie au meilleur portrait de RFK que j’aie lu, par la journaliste Rebecca Traister dans New York Mag l’été dernier, et à sa conclusion qui résume bien la politique américaine en 2024 : « notre système politique crée une opportunité politique trop irrésistible pour quelqu’un qui a un nom célèbre, un ego énorme et un complexe de persécution ».