Le mois dernier, Washington a dévoilé une révision dramatique, et néanmoins brouillée, de son aide à l’Egypte, d’une ampleur inédite depuis la signature des accords de Camp David. Les Etats-Unis sont-ils on train de réévaluer leur relation avec l’Egypte ? Y a-t-il du revirement d’alliance dans l’air ?

Hagel Sissi

L’entretien avec Susan Rice dans le New York Times sur la stratégie « plus modeste » des Etats-Unis pour le Moyen-Orient (déjà évoquée dans un précédent post) a semblé entériner la priorité désormais moindre accordée par Washington à l’Egypte et déjà signalée dans le discours d’Obama à l’Assemblée générale de l’ONU fin septembre 2013.

L’annonce d’une suspension partielle de l’aide américaine à l’Egypte (pratique plus souvent réservée à des alliés comme le Pakistan) a donc logiquement suivi en octobre, sans pour autant répondre à la question : coup d’Etat ou pas coup d’Etat ? En réalité, cette absence de réponse est logique, car une réponse positive aurait entraîné la suspension automatique de l’intégralité de l’aide en vertu d’une loi du Congrès (sur ce sujet et pour un tour d’horizon des débats à Washington qui ont suivi la reprise en main par les militaires égyptiens à l’été 2013, voir mon précédent post sur le blog de Michel Goya : L’Egypte, l’autre dossier du Proche-Orient).

Le résultat est un message brouillé car la moitié environ de l’aide économique est suspendue (donc pas toute) ; même chose sur l’aide militaire, dont une partie n’est pas livrée (ou pas tout de suite) ; en revanche, en matière d’équipement militaire, tout ce qui concerne le contre-terrorisme, la sécurité des frontières et la sécurité maritime est maintenu.

Les critiques contre cette politique tout en demi-mesures ont fusé en particulier parmi les membres du Congrès, les plus féroces n’étant pas les plus attendues (cf. le représentant Engel numéro un démocrate à la Commission des affaires étrangères de la Chambre) ; de même, certains alliés ont été également inattendus (Rand Paul, Lindsey Graham). On lira ici un article résumant l’aide et les critiques, ici le briefing officiel du département d’Etat.

Les réactions de mécontentement côté égyptien ne se sont pas faites attendre, avec en particulier la menace de se tourner vers de nouveaux alliés plus conciliants. Sans surprise, la décision américaine a également irrité, pour ne pas dire plus, côté israélien, où l’on avait vu d’un bon œil la reprise en main du pays par les militaires. Comme au Congrès, les responsables israéliens critiquent le caractère brouillé du message envoyé qu’il considère comme du « perdant-perdant ».

Le voyage du ministre des Affaires étrangères russe au Caire n’a pas échappé aux experts américains du Moyen-Orient. Mais Steve Cook du Council on Foreign Relations relativise cet épisode dans un article qui rappelle le passé russe en Egypte mais aussi l’importance et la durée des liens au niveau militaire entre Washington et Le Caire. Cependant, Cook rappelle aussi que les Egyptiens (militaires comme diplomates) connaissent très bien le système politique américain et « comprennent le Congrès mieux que beaucoup d’Américains ». Et ils voient dans l’évolution récente des positions des parlementaires américains vis-à-vis de l’Egypte des signes que le statu quo entre Washington et Le Caire ne durera pas forcément éternellement. D’où leur volonté d’élargir leur horizon stratégique.

U.S. Secretary of State John Kerry waves as he leaves AnkaraIl est de toute façon trop tôt pour conclure, d’autant plus que le récent voyage du secrétaire d’Etat John Kerry au Caire est venu arrondir les angles. Surtout, il a semblé illustrer les divisions américaines sur le sujet, ici en particulier entre le département d’Etat et le conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche (entre Kerry et Susan Rice – donc Obama ?) , au point que pour cet article, « Kerry défie la Maison Blanche sur l’Egypte ». En réalité, pendant toute la revue stratégique de l’été, le NSC s’est heurté à la fois au département d’Etat et à celui de la Défense, les deux voulant maintenir l’aide et le soutien américains aux militaires égyptiens.

Pour l’heure, l’aide continue dans le domaine militaire, comme  le montre la livraison récente au titre de la sécurité maritime de quatre nouveaux FMC (fast missile craft) à la Marine égyptienne. L’heure ne semble pas encore venue à Washington de remettre radicalement en cause la relation avec Le Caire, en tout cas pas pour protester contre les atteintes aux droits de l’homme par les militaires.

Pour citer cet article:

Maya KANDEL, « Washington-Le Caire: l’heure du doute », Froggy Bottom, 04/12/2013 (en ligne), URL: froggybottomblog.com/2013/12/04/washington-le-caire-lheure-du-doute

Sur le même thème, j’avais écrit début 2012 cet article sur Les Etats-Unis et le printemps arabe