Après le drame d’Orlando, la question du poids de la politique étrangère (et du terrorisme en particulier) dans l’élection présidentielle américaine est à nouveau posée. Voici quelques éléments d’analyse, repris d’un précédent post utilisant notamment les études universitaires qui existent sur ce sujet, plutôt que des articles et sondages récents.

L’influence de la politique étrangère sur le choix des électeurs lors de l’élection présidentielle est un sujet sur lequel il existe de nombreux travaux universitaires. Ces études montrent que dans le cas général la politique étrangère n’est pas déterminante dans les élections américaines, car :

  • l’économie et l’emploi sont dans la quasi-totalité des cas les préoccupations majeures des électeurs et ce qui détermine leur vote ;
  • la population a tendance à s’en remettre aux élites sur des questions complexes dont elle ne maîtrise pas les enjeux ;
  • par ailleurs, la politique étrangère n’est pas un domaine où les positions des candidats sont radicalement opposées.

Voilà pour le cas général. Mais 2016 pourrait être exceptionnelle, en raison de la menace terroriste et de la personnalité des candidats – et par ailleurs la réponse est un peu plus compliquée, notamment parce que la polarisation de la politique étrangère est un phénomène relativement récent, et donc peu pris en compte dans les études classiques.

Trump back

Je me propose donc ici de :

  1. Présenter quelques cas récents et montrer pourquoi la politique étrangère pourrait être un élément important cette année ;
  2. Expliquer en particulier ce que les politologues appellent issue ownership, l’avantage inhérent d’un parti sur un domaine politique, ici pourquoi les républicains ont un avantage en politique étrangère et ce qui a changé là-dessus récemment ;
  3. Enfin (dans un prochain post) décrire plus précisément les positions de politique étrangère des principaux candidats démocrates et républicains.

1/ Politique étrangère et présidentielle américaine

Depuis les années 1960, la politique étrangère a rarement été déterminante pour l’élection présidentielle. Pour autant, en 2004 par exemple, le fait que le pays soit en guerre et l’instrumentalisation de la politique étrangère par les républicains avait joué en faveur de Bush contre le candidat démocrate John Kerry (en 2008 en revanche, la politique étrangère n’a été déterminante dans l’élection générale, c’est l’économie qui a été le facteur essentiel du choix des Américains). Autre cas récent où la politique étrangère a pesé, l’élection de 1964 qui a opposé le démocrate Lyndon Johnson au conservateur très faucon Barry Goldwater, élection marquée par la première publicité négative (la petite fille à la marguerite). Enfin, l’affaire des otages américains en Iran et l’échec de l’opération de sauvetage lancée par le président Carter ont compté pour beaucoup dans son échec contre Reagan en 1980.

Ce dernier exemple illustre d’ailleurs le cas toujours possible d’un événement exceptionnel dramatique survenant dans les mois, voire les semaines précédant l’élection, éventualité évoquée par tous (chacun pensant à un attentat terroriste) et qui bousculerait toutes les prévisions et théories. Dans ce cas, deux éléments seront déterminants : l’avantage traditionnel du parti en la matière ; à tempérer par les caractéristiques particulières de chaque candidat dans la configuration particulière de 2016.

Trois autres aspects où la politique étrangère joue un rôle non négligeable, voire clé :

Dans ce qu’on appelle la primaire invisible, la bataille pour l’argent des riches donateurs, pour qui la politique étrangère est un sujet essentiel : il faut mentionner notamment la « primaire Adelson », du nom de Sheldon Adelson qui avait reçu à Las Vegas les candidats républicains venus réellement faire valider leurs positions de politique étrangère. Cette primaire invisible est aussi ce qui explique la candidature de Lindsey Graham, aujourd’hui disparue (mais qui avait remis la politique étrangère dans les débats). Elle comptera à nouveau au fur et à mesure des primaires, suivant les candidats restant en lice côté républicain.

Autre aspect non négligeable, l’importance de la politique étrangère dans la bataille des primaires. Les primaires démocrates de 2008 sont à cet égard un cas d’école : l’opposition précoce et constante d’Obama à la guerre en Irak avait joué un rôle-clé dans sa victoire contre Hillary Clinton.

Enfin, rappelons que ce qui compte avant tout c’est ce que les Américains appellent le test du commandant-en-chef (the commander-in-chief test), qui fonctionne comme barrière à l’entrée en quelque sorte. Il faut apparaître comme un leader fort avec quelques notions de base et un instinct digne de confiance – ce qui explique que la candidature du neurochirurgien Ben Carson se soit évaporée dans la foulée des attentats de Paris, quand le terrorisme s’est imposé dans la campagne ; c’est aussi le cas d’école de l’échec du démocrate Michael Dukakis contre George HW Bush (père) en 1988. Le drame d’Orlando aura-t-elle les mêmes conséquences pour Trump? La question se pose.

HRC CFR

2/ Avantages comparatifs des partis politiques : les républicains maîtres de la sécurité nationale

Cette question des avantages comparatifs de chaque parti sur les principaux dossiers, ce que les politologues appellent « issue ownership » est un autre sujet sur lequel il existe plusieurs études de référence, pour le cas américain. Pour ce qui nous intéresse, la politique étrangère (ou sécurité nationale, pour reprendre le terme un peu plus large préféré par les Américains), les études montrent que, malgré quelques mouvements récents, les Américains font davantage confiance au parti républicain pour mener la politique étrangère du pays (alors qu’ils font davantage confiance aux démocrates pour s’occuper de l’économie et de l’éducation). Ces avantages comparatifs sont stables et établis depuis plus de quatre décennies (dans leur configuration actuelle, ils datent des années 1970, après la grande recomposition politique américaine des années 1960).

Le parti républicain est en effet perçu comme plus fort sur ces sujets depuis les années 1970 suite aux déchirements démocrates qui ont suivi la guerre du Vietnam (une guerre commencée et menée par des présidents démocrates jusqu’à Nixon, mais combattue ensuite par des opposants principalement du parti démocrate, qui conservera ensuite une image de parti pacifiste voire anti-militariste). Le président Bill Clinton a certes fait renaître un interventionnisme « de gauche » (liberal hawks) avec les interventions dites humanitaires des années 1990 (Balkans notamment – on notera d’ailleurs que l’adversaire démocrate d’Hillary Clinton, Bernie Sanders, a voté au Congrès contre toutes les interventions des dernières décennies, hormis l’intervention de 1999 au Kosovo), mais l’invasion irakienne de 2003 a à nouveau divisé le parti (cf. les primaires de 2008 déjà évoquées).

Mais l’effet le plus important de l’intervention américaine en Irak a été la baisse de crédibilité du parti républicain sur la politique étrangère, qui a mis du temps à s’imposer mais explique non seulement l’ascension de Rand Paul (évoqué comme possible candidat républicain jusqu’en 2014) mais aussi l’avantage du parti démocrate, qui est apparu pendant quelques années comme le parti plus digne de confiance sur la politique étrangère, écho des souhaits d’une population fatiguée des guerres et où la position prudente paraissait la meilleure… pendant un temps.

Obama a été attentif à maintenir cet avantage démocrate inédit dans l’histoire récente, avec un discours de réception du prix Nobel de la paix plutôt musclé, défendant la nécessité de la force dans certains cas, et plus généralement avec un interventionnisme soutenu – mais plus discret.

Mais dès 2014, avec l’ascension de l’Etat Islamique et surtout les assassinats des journalistes américains James Foley et Steven Sotloff en août et septembre 2014, le parti républicain a commencé à retrouver son avantage traditionnel, en jouant sur la peur et le penchant jacksonien (nationalisme vengeur) des Américains, et en intensifiant les accusations de faiblesse contre les démocrates. Les premières campagnes publicitaires de 2016 illustrent cette utilisation de la peur (« The terrorists are coming »), qui explique aussi l’ascension et le succès de la candidature Trump.

Il y a cependant là encore un paradoxe et une exception possible dans ces élections 2016, c’est le facteur Hillary Clinton, seule candidate expérimentée parmi tous les prétendants actuels, dont la réputation de faucon n’est plus à faire, et à qui selon une étude récente, les Américains font le plus confiance sur le terrorisme en particulier.