Je suis très heureuse de présenter ma dernière étude pour l’IFRI sur les natcons, les nationaux-conservateurs américains.

Le mouvement « national-conservateur » a été lancé aux États-Unis par le penseur ultra-conservateur israélo-américain Yoram Hazony, auteur en 2019 de La vertu du  nationalisme. Avec la fondation Edmund Burke, il organise depuis 2019 des conférences annuelles qui rassemblent des penseurs et activistes de la « nouvelle droite » américaine. Si l’enjeu de départ était de proposer une théorisation ex-post du trumpisme, les conférences annuelles des NatCons sont progressivement devenues un instrument de ralliement des courants cherchant à se débarrasser de l’ancien establishment républicain et à construire un nouveau programme politique. Le Claremont Institute, centre de recherche anti-libéral situé en Californie, a joué un rôle essentiel à l’origine du national-conservatisme, rejoint depuis par des intellectuels venus des think-tanks, publications et autres centres de recherche de la droite et de l’extrême droite américaines. La dernière conférence, organisée en septembre 2022 à Miami, a mis à l’honneur le gouverneur de Floride Ron DeSantis, aujourd’hui considéré comme le principal rival de Trump en vue de la présidentielle 2024.

J’en parlais également au micro de la RTS le 16 mars dernier (10 mn, à réécouter ici).

Avant-propos: méthodologie, terrain et angles d’analyse

Une première version de cette étude a été présentée le 9 décembre 2022 lors du colloque de l’Université Toulon sur les Reconfigurations du politique, organisé par Marie Gayte-Lebrun et Simone Visciola. Elle est le fruit d’un travail de terrain au long cours, de 2019 à 2022, notamment à travers la participations aux conférences annuelles du national-conservatisme (#NatCon), aux Etats-Unis (Washington et Floride), des échanges lors de ces conférences, ainsi que de nombreux entretiens à Washington, en Floride et en Californie.

L’étude aborde cette mouvance national-conservatrice américaine avec un double prisme d’analyse, qui anime mes recherches depuis ma thèse:

  • la redéfinition du rapport au monde, au cœur de la redéfinition du conservatisme proposée par le mouvement natcon: elle est indissociable de l’effort de repenser la politique étrangère, qui agite les différentes factions du parti républicain depuis la fin de la guerre froide;
  • l’observation du Congrès et des recompositions électorales et partisanes y joue un rôle essentiel, en illustrant le passage des idées aux positions politiques et, éventuellement, aux votes.

Le national-conservatisme, quelle politique étrangère pour la « nouvelle droite » américaine?

Le national-conservatisme est né avec la première conférence éponyme organisée par le penseur israélo-américain Yoram Hazony en 2019. Mais son inspiration idéologique est évidemment plus ancienne. Les conservateurs nationalistes, ou « NatCons » comme ils se baptisent eux-mêmes, sont passés en quelques années des marges au cœur d’un parti républicain en pleine redéfinition idéologique depuis l’ascension du mouvement de contestation du Tea Party au début de la présidence Obama, puis la victoire et la présidence Trump. En 2023, leur influence est visible au Congrès, dans la Chambre républicaine de Kevin McCarthy et au Sénat avec l’élection de nouveaux sénateurs appartenant au mouvement, mais aussi au-delà, puisque le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, considéré aujourd’hui comme le concurrent de Trump le plus sérieux pour l’investiture républicaine aux élections présidentielles de 2024, appartient également à cette mouvance. Le mouvement natcon dessine l’évolution d’un parti républicain trumpiste, avec ou sans Trump.

Le national-conservatisme désigne la reconstruction intellectuelle du conservatisme élaborée d’abord par un petit groupe d’intellectuels conservateurs, désireux de fournir une redéfinition de ce courant adaptée à un parti républicain doublement révolutionné par la victoire de Trump. Cette double dimension doit être soulignée : la victoire de Trump a d’abord redéfini le socle électoral du parti républicain, avec l’apport de nouveaux électeurs, souvent des gens qui ne votaient pas, attirés par Trump, et que les NatCons entendent conserver ; une révolution sur le plan des idées également, puisque la présidence Trump a conduit à un certain nombre de ruptures dans le positionnement du parti républicain, en particulier sur l’économie et la politique étrangère. L’objectif affirmé de la conférence fondatrice était précisément de proposer une « théorisation à rebours » du trumpisme, avec l’objectif de conserver après Trump sa coalition électorale victorieuse. Les participants célèbrent la présidence Trump comme un passage obligé, ayant permis la rupture, mais rejettent d’autres aspects de sa personnalité ou de sa biographie. Il est en fait assez peu mentionné par les intervenants comme par les participants, et généralement comme étant déjà de l’histoire ancienne.

Le terme « natcon » est né avec la première conférence annuelle du mouvement en juillet 2019 à Washington. Après une interruption en raison de la pandémie, ces « NatCons » annuelles ont repris en 2021 puis en 2022 en Floride ; sur la même période, plusieurs déclinaisons européennes ont eu lieu à Rome, Bruxelles et Londres. A l’origine du mouvement et des conférences annuelles se trouve Yoram Hazony, auteur en 2019 d’un livre sur La vertu du nationalisme, et la fondation Edmund Burke, créée pour l’organisation de ces NatCons, qui sont financées, entre autres, par le milliardaire de la tech Peter Thiel, donateur également des campagnes de Trump, ainsi que de plusieurs sénateurs républicains, en particulier Josh Hawley, Ted Cruz, ou encore J.D. Vance. Même si les organisateurs ont pris des précautions oratoires lors de la première conférence (pas de racisme, pas de suprémacistes blancs), il était impossible d’ignorer la tonalité islamophobe (moins présente lors de la conférence de 2022), l’influence du suprémacisme blanc, banalisé par Trump et sa présidence, le discours masculiniste aussi, symbolisé, entre autres, par le discours du sénateur Josh Hawley en 2021 sur la politique industrielle pour “l’homme américain”.

Si l’enjeu de départ était de proposer une théorisation ex-post du trumpisme, les conférences annuelles des NatCons sont progressivement devenues un instrument de ralliement des courants cherchant à se débarrasser de l’ancien establishment républicain et à construire un nouveau programme politique. Mais alors que ce mouvement se revendique nationaliste, et que le rapport au monde des États-Unis joue un rôle central dans sa genèse et sa définition, la politique étrangère reste le thème sur lequel les divisions sont les plus importantes.

Hormis Trump, qui a déjà déclaré sa candidature, son principal rival, pris au sérieux aussi bien par les républicains que par les démocrates, est le gouverneur de Floride Ron DeSantis, invité d’honneur de la dernière conférence natcon en Floride en septembre 2022. Il y a lieu de se demander quel impact une victoire de l’un ou l’autre en 2024 aurait pour la conduite de la politique étrangère américaine.

Lire la suite sur le site de l’IFRI (ou télécharger directement le PDF).

L’étude comporte de nombreuses références en notes, je mentionne ici quelques autres sources sur le blog:

Mon premier article sur le sujet du national-conservatisme, rédigé après la première conférence de 2019,

Ce post sur les circulations transatlantiques entre droites extrêmes indiquait plusieurs ressources bibliographiques,

Je recommande également cette biographie de Peter Thiel,

C’est aussi un sujet que j’ai beaucoup traité sur ce blog depuis 2014 au moins: voir cet article de 2014 sur l’ascension de Rand Paul, le débat de politique étrangère côté républicain et les stratégies des élites pour étouffer le débat, aspects indispensables pour comprendre les primaires 2016 et l’élection de Trump, après une campagnela politique étrangère différenciait vraiment les candidats.

Enfin cet article de Politico présente bien l’évolution des électeurs républicains, le poids du trumpisme et le dilemme pour 2024.

Et un petit souvenir de la conférence de 2021 à Orlando pour finir

DR: Orlando, Floride, NatCon2