Quelle sera la politique étrangère des Etats-Unis en 2017? Les électeurs américains sont, pour la première fois depuis plusieurs décennies, devant un vrai choix pour la politique étrangère de leur pays. Avec la fin des conventions et la nomination officielle de chaque candidat par son parti, voici un point sur la vision générale et les positions particulières des deux principaux candidats, Hillary Clinton et Donald Trump.

Clinton, Trump pick up big wins

Hillary Clinton contre Donald Trump, l’inversion des camps

Pour la première fois depuis longtemps, l’élection générale oppose un parti contre l’autre dans l’attitude vis-à-vis du reste du monde, la philosophie générale en politique étrangère. Habituellement, les principaux candidats offrent des variantes d’une même politique activiste à l’international.

La campagne des primaires a exprimé la montée du mécontentement des Américains vis-à-vis de la politique étrangère de leur pays, sur le plan économique (accords commerciaux) mais aussi politico-militaire (interventions, alliances). La différence bien sûr c’est que le candidat populiste l’a emporté à droite, pas à gauche.

On se trouve donc dans un cas de figure tout à fait original pour la vie politique américaine récente, avec un candidat républicain « isolationniste » face à une candidate démocrate interventionniste (les guillemets concernent Donald Trump car ses propos sont trop contradictoires et incohérents pour pouvoir lui prêter une réelle vision, et j’invite chacun à se faire une idée personnelle en consultant une retranscription de ses propos sur le sujet ou en visionnant une de ses interventions).

En revanche, il est certain que Hillary Clinton représente le retour (par rapport à Obama) à une position beaucoup plus classique et représentative de l’establishment de politique étrangère ou encore ce qu’Obama appelait le Washington playbook dans l’article de Jeffrey Goldberg sur la doctrine Obama.

Les Etats-Unis, mercenaires plutôt que gendarmes du monde

Deux aspects à souligner dans les récentes prises de position de Trump en politique étrangère. D’abord ses propos sur l’OTAN, qui remettent en question la garantie de l’article 5, donc l’alliance elle-même et par là l’un des fondements de l’architecture de sécurité construite par les Etats-Unis après la Seconde Guerre mondiale (sans parler du fait que la défense des pays baltes a toujours été depuis 60 ans l’une des passions républicaines les plus constantes). Lorsque Trump dit que Washington défendra les pays baltes « s’ils paient ce qu’ils doivent », il donne l’image d’une armée américaine non plus gendarme du monde mais mercenaire à louer (au plus offrant ?).

Il faut tout de même se rappeler qu’il s’agit du même parti républicain qui accuse depuis 7 ans Obama d’abandonner l’Europe de l’Est à la Russie et n’a cessé de le critiquer pour sa « faiblesse » face à Poutine (Obama qui vient d’engager Washington à stationner des troupes américaines en Pologne et dans les pays baltes dans le cadre de la « réassurance » américaine à l’Europe contre la Russie).

La fin de l’exceptionnalisme américain ?

Plus surprenants encore, les propos de Trump au sujet de la reprise en main musclée de la Turquie par Erdogan suite au coup d’Etat avorté du 15 juillet dernier. Interrogé par le New York Times sur les arrestations et autres mesures répressives, Trump a déclaré : « qui sommes-nous pour donner des leçons alors que des gens chez nous tuent des policiers de sang froid ? », ajoutant « je ne crois pas que nous puissions donner des leçons ». Phrase qu’on a l’habitude d’entendre, mais jamais dans la bouche d’un candidat à la présidence des Etats-Unis. Là encore, il faut rappeler que les républicains accusent Obama depuis 2009 non seulement d’être un président faible mais surtout de ne pas croire en l’exceptionnalisme américain, la conviction que les Etats-Unis sont les seuls, ou en tout cas les plus qualifiés pour mener le monde vers la paix et la prospérité globales (pilier du leadership américain indispensable etc.). Romney en 2012, Rubio et Jeb Bush en 2016 ont fait toute leur campagne sur ce thème, et Gingrich, un temps pressenti comme VP de Trump, a même écrit un livre entièrement sur la remise en cause supposée de l’exceptionnalisme américain par Obama.

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Hillary Clinton, réaliste interventionniste

Hillary Clinton est à l’inverse beaucoup plus représentative d’une vision traditionnelle de la politique étrangère américaine. Plus froidement réaliste, moins optimiste qu’Obama, et comme cela a été dit beaucoup plus interventionniste (faucon), en tout cas plus convaincue que le leadership des Etats-Unis et leur outil militaire en particulier sont nécessaires et positifs pour l’ordre international – là où Obama a poursuivi un certain désengagement, au moins militaire, et tenté de réconcilier les Américains avec un monde où leur pays n’est plus l’hyperpuissance qu’il a pu être.

Ses différences avec Obama sont davantage une question de degré que de nature, mais se sont manifestées sur plusieurs dossiers, y compris lorsqu’elle faisait partie de l’administration en tant que secrétaire d’Etat, pendant le premier mandat.

On peut citer:

  • Le dossier afghan, où Clinton soutenait en 2009 la recommandation du général McChrystal pour une « option haute » (40 000 soldats supplémentaires) ;
  • L’Irak, où Clinton partageait l’avis du Pentagone qui voulait laisser 10 à 20 000 soldats américains sur place après 2011 ;
  • L’intervention en Libye, qu’elle a défendue ;
  • Le soutien aux rebelles syriens anti-Assad, qui a fait l’objet de nombreuses discussions et dissensions internes dès 2011.

De même sur le reset avec Moscou, Clinton a toujours été davantage du côté des partisans de la fermeté et de la réassurance aux alliés que de celui des concessions à la Russie.

Clinton veut éviter ce qui à ses yeux a affaibli Obama : chefs d’Etat et groupes armés étrangers ont très rapidement compris qu’il voulait à tout prix éviter toute nouvelle implication militaire américaine massive. D’où un défaut de crédibilité (et de leadership) qui, selon cette analyse, a invité les transgressions russe ou chinoise par exemple.

Ce côté faucon de Clinton est certainement plus en phase avec l’opinion américaine en 2016 qu’en 2008. Pour autant, les Américains demeurent ambivalents vis-à-vis de l’interventionnisme extérieur :

  • La « fatigue de la guerre » est toujours présente, de même que doutes et suspicion vis-à-vis des interventions extérieures ;
  • Pour autant, après 8 ans de désengagement relatif et de prudence, les Américains semblent également insatisfaits du résultat, un leadership américain en déclin, de plus en plus contesté.

MISE à JOUR: J’ai été auditionnée sur ce sujet par la Commission des Affaires Etrangères du Sénat le 5 octobre 2016, la vidéo est en ligne

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Trump sur les principaux dossiers :

Construire un mur tout le long de la frontière avec le Mexique, faire payer le Mexique.

Chine : taxer les importations ; punir le vol de propriété intellectuelle US ; augmenter la présence militaire américaine dans la région Asie Pacifique pour changer le rapport de force contre Pékin.

Commerce : contradictoire aussi, puisque se dit favorable au libre-échange, mais a dit son opposition à plusieurs traités récents, notamment ALENA, qu’il répudierait sans hésiter s’il ne peut renégocier ou encore TPP car « trop favorable à la Chine » (qui n’en fait pas partie).

Cuba : favorable à l’ouverture diplomatique

Défense : augmenter la taille, la puissance et la présence militaire américaine, sans plus de précisions ; sur les interventions, il n’a cessé de se contredire, brandissant son opposition aux interventions en Irak et Libye alors que des preuves existent qu’il les avait soutenues sur le moment.

Etat Islamique / lutte contre le terrorisme :

Après les attentats de Paris il s’est engagé à intensifier les attaques militaires contre l’EI et s’est dit prêt à envoyer des dizaines de milliers de soldats américains sur le terrain ; favorable à des no-fly zones et des zones de protection pour réfugiés en Syrie (des positions qui ne sont guère isolationnistes).

Il milite pour des « techniques d’interrogation robustes » y compris la torture, et n’exclut pas de s’en prendre à la famille des terroristes… Même position dure sur surveillance, et il a soutenu la décision obligeant Apple à collaborer avec le FBI ; il est opposé à fermeture Guantanamo

A dit et redit qu’il voulait mettre en place une interdiction temporaire d’entrée sur le territoire pour les musulmans, voire les déporter du pays (voir plate-forme parti p. 42)

Iran : renégocierait ce qu’il appelle un « accord désastreux, surtout pour Israël » (rien de plus précis).

Russie : il a mis en doute la pertinence OTAN dans le contexte actuel, remis en cause la garantie de l’article 5 et exigé que les pays de l’Alliance « paient ce qu’ils doivent ». Il répète qu’il aurait une excellente relation avec Poutine puisque celui-ci a reconnu que Trump était brillant. A fait supprimer du programme républicain la référence sur l’aide (armes) à l’Ukraine.

Sans même évoquer l’origine russe supposée du vol des mails démocrates (et leur diffusion via Wikileaks), le caractère « sympathique vis-à-vis de la vision russe du monde » est peut-être l’aspect le plus tranché des positions de politique étrangère de Trump – et le plus inédit pour le GOP, on se souvient encore Romney 2012 qui disait que « la Russie ennemi géopolitique n°1 des US » ce dont Obama s’était d’ailleurs moqué à l’époque.

Clinton sur les principaux dossiers :

Chine : ni ami ni rival; nécessité de coopérer sur certains dossiers. Clinton a joué un rôle-clé dans la mise en œuvre du « pivot », le rééquilibrage de la politique étrangère américaine vers l’Asie, dans sa première phase plus diplomatique. Mais elle a critiqué les atteintes aux droits de l’homme en Chine et défend la liberté de navigation et le respect du droit international en mer de Chine du Sud, contre l’annexion en cours de certains espaces par Pékin (via la construction d’îles artificielles).

Commerce/ libre échange : elle a plutôt soutenu le libre-échange mais s’est aussi opposée dans sa carrière aux accords considérés comme défavorables aux droits des travailleurs américains (a fait volte-face pendant les primaires sur le TPP en raison de la menace Sanders sur sa candidature).

Cuba : favorable à la normalisation, elle utilisera la voie des décrets présidentiels en cas de blocage du Congrès

Défense : elle défend le « smart power » soit l’utilisation de tous les outils de la politique étrangère et pas seulement l’outil militaire, mais se dit prête à utiliser la force suivant si nécessaire (voir ci-dessus).

Etat Islamique /lutte contre terrorisme : c’est là qu’elle est la plus critique envers Obama, notamment sur le soutien aux forces anti-Assad en Syrie.

Pour autant, sa critique d’Obama relève davantage d’une question de degré que de nature. Elle veut intensifier l’aide aux forces locales, la présence des forces spéciales américaines pour entraîner les forces sunnites et kurdes.

Sur le plan de la lutte idéologique : coopération avec le secteur privé pour lutter contre la présence en ligne des groupes violents et de leur propagande ; augmentation des capacités de renseignement.

Elle considère les frappes de drones comme une alternative importante quand les individus ne peuvent être capturés et poursuivis.

Elle est favorable à la fermeture de Guantanamo.

Iran : soutient l’accord sur le nucléaire, mais insiste sur la nécessité de « ne pas faire confiance et vérifier »

Russie : collaborer sur dossiers intérêts communs, mais travailler avec pays partenaires et alliés face aux transgressions et agressions russes. Renforcer l’OTAN et améliorer sécurité énergétique pays européens.