J’étais invitée hier sur RFI pour évoquer la Syrie et en particulier le face-à-face qui s’y joue, parmi beaucoup d’autres enjeux, entre la Russie et les Etats-Unis (à réécouter ici). J’en profite pour présenter ici très brièvement quelques aspects importants.

Ce qui se joue à Alep concentre sans doute les deux erreurs d’appréciation majeures d’Obama : sur la Russie et sur la Syrie. Sur la Russie, on se souvient du fameux reset de la première administration Obama, dont l’idée directrice était que la Russie pouvait être un partenaire pour Washington sur certains dossiers, et qu’elle était somme tout une puissance régionale gérable. Cela a fonctionné un temps, sur l’Afghanistan et sur l’Iran. Mais ensuite, on peut dire que Poutine a voulu donner tort à Obama sur tous les points, parce qu’il a refusé de cantonner son pays à ce rôle mineur sur la scène internationale : il a fait le calcul, pas forcément faux d’ailleurs, qu’il était plus intéressant pour la Russie de s’opposer aux Etats-Unis que de collaborer avec eux.

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Il a su par ailleurs saisir toutes les occasions, et on peut identifier les trois étapes de ce retour à une forme de « guerre froide » entre Moscou et Washington : premier tournant, le retour de Poutine à la présidence en 2012 ; deuxième tournant, le refus d’Obama d’intervenir en Syrie à l’été 2013, malgré la transgression par Assad de la fameuse ligne rouge sur les armes chimiques que le président américain avait lui-même édictée. Dernier tournant, toujours en 2013, l’évolution de la situation en Ukraine, un dossier cependant géré alors davantage par les Européens, qui conduit à l’annexion de la Crimée par Moscou en février 2014 et aux opérations russes dans l’Est de l’Ukraine.

A Alep aujourd’hui, on peut dire que Poutine agit sous la pression du calendrier électoral américain : il considère qu’Obama restera fidèle à son principe de non-intervention, dont il faut rappeler qu’il répond aux souhaits de la majorité de la population américaine. Malgré le drame d’Alep, les Américains ne souhaitent pas risquer à nouveau la vie de leurs soldats dans une nouvelle guerre au Moyen-Orient. Pour mémoire, la raison première de la non-intervention américaine en Syrie était l’Iran et la priorité donnée par Obama à un accord avec Téhéran sur le dossier nucléaire.

Poutine considère donc qu’Obama n’interviendra pas dans les derniers mois de sa présidence et il cherche à créer sur le terrain la situation la plus favorable possible afin d’être dans la meilleure position possible face au prochain président américain. Il considère donc qu’il a un peu plus de trois mois (le prochain président américain prendra ses fonctions fin janvier 2017) pour changer la situation sur le terrain : marginaliser l’opposition à Assad hors Etat Islamique afin de valider l’analyse russe (et du régime syrien) de la situation, soit Assad contre les terroristes (voir ce post de Michel Goya pour une analyse militaire de ce qui se joue dans la bataille d’Alep).

Il s’agit bien pour les Russes de préempter les choix du prochain président américain, surtout s’il s’agit de Hillary Clinton, dont Poutine craint qu’elle ne soit plus interventionniste en Syrie que Barack Obama (et en effet, elle a une histoire et une réputation beaucoup plus « faucon »). Le déploiement récent de dispositifs anti-aériens en Syrie est aussi une manière de prévenir toute possibilité de no-fly zones, politique que Clinton avait défendue dans le passé.

alepD’autres ont écrit (voir cet article de Nicolas Tenzer en particulier) sur l’horreur du siège d’Alep et les crimes de guerre russes en Syrie.

Les enjeux sont élevés et le risque de confrontation entre Américains et Russes ne doit pas être pris à la légère. A Washington, et tout particulièrement au Congrès, les références à la guerre froide sont désormais majoritaires, en écho à la quasi-totalité des analyses des think tanks de la capitale américaine. Les prises de position sont tout aussi agressives côté russe.

La Syrie était la dernière tentative de l’administration Obama pour maintenir une relation bilatérale comportant un minimum de dialogue et de coopération avec la Russie, sur la base de l’ennemi commun que devrait constituer le terrorisme et le groupe Etat Islamique en particulier. Poutine l’a repoussée, comme il vient de rejeter l’accord signé en 2000 avec Washington sur le nucléaire. Les frappes russes contre l’EI demeurent symboliques, et la priorité de Poutine n’est pas dans des enjeux locaux : l’objectif russe demeure la capacité d’influence de la Russie sur la scène internationale. Les victimes civiles du siège d’Alep ne comptent pas dans ce calcul. Or la politique russe est appuyée par un dispositif militaire puissant et cohérent, face auquel la seule voie diplomatique (et les sanctions) privilégiée par les Etats-Unis et l’Europe ne fait pas le poids.