Dans mon précédent post, je m’interrogeais sur le poids de la politique étrangère dans le choix du prochain président américain. Je présente ici les positions des principaux candidats à la présidentielle 2016. Le vote des Américains aura bien sûr des conséquences pour l’avenir de leur pays, mais aussi pour le reste du monde, puisque les Etats-Unis demeurent l’acteur majeur de la scène internationale.

Côté démocrate : Hillary Clinton contre Bernie Sanders

Pour Bernie Sanders, la politique étrangère est plutôt un handicap, son objectif et son intérêt étant de faire campagne sur les questions économiques et sociales, les inégalités, et contre Wall Street. Il a parfois des propos intéressants, par exemple sur la nécessité de comprendre et ne pas reproduire les erreurs passées de la politique étrangère américaine, mais ce n’est pas son point fort et certaines de ses positions sont peu cohérentes (par exemple sur le changement climatique comme cause principale du terrorisme). Il représente bien cependant l’aile libérale anti-guerre du parti, dont le poids a augmenté sous Obama.

Hillary Clinton c’est bien sûr l’expérience – huit ans à la Maison Blanche avec Bill, quatre ans au département d’Etat sous Obama I. Elle a une réputation de faucon, et en effet dans l’administration Obama elle a toujours défendu les positions plus interventionnistes, que ce soit en Afghanistan (partisane de l’option la plus élevée du surge), sur la Libye en 2011 ou encore sur la Syrie, où elle était du côté des critiques d’Obama qui voulaient armer les rebelles syriens (voir les débats de l’été 2012). Son rapport à l’héritage Obama a été parfois délicat, mais elle semble dernièrement l’avoir embrassé de manière moins ambiguë. Pour autant, il y aura des différences : elle est plus interventionniste mais avec une tendance à la Richard Holbrooke : utiliser la force ou la menace de la force pour rendre plus efficace la diplomatie ; surtout, elle a montré dans ses discours récents une vraie réflexion sur les leçons des interventions sous Obama. S’il faut attendre une différence majeure, cela pourrait être sur Israël. Elle a en tout cas le discours le plus précis et cohérent en la matière, et par rapport à Obama sera plus encline à projeter un leadership américain fort.

En aparté, il faut dire que si par hasard le candidat républicain devait être Trump ou Cruz, on pourrait imaginer que les néoconservateurs soutiennent Hillary Clinton (voir en particulier cet article, même s’il date de 2014, un moment où l’on évoquait la possibilité d’une victoire Rand Paul aux primaires républicaines).

Côté républicain : divisions et désarroi

Le point commun des nombreux candidats républicains à la nomination de leur parti est un nationalisme faucon dans le discours et une défense absolue de la souveraineté américaine. Au-delà, il y a toujours eu plusieurs familles chez les républicains, mais le réalisme internationalisme traditionnel de ce parti pendant la guerre froide a aujourd’hui quasiment disparu, sauf peut-être pour Rand Paul, qui fait figure d’exception en plaidant pour un retrait américain et qui se rattache davantage à la tradition libertarienne isolationniste de son père. Les néoconservateurs demeurent influents (bien que plus discrets), ne serait-ce que parce qu’ils ont le discours le plus construit en politique étrangère côté républicain et sont très présents dans les think tanks conservateurs.

Tous les candidats (puisque Rand Paul s’est retiré de la course) martèlent un discours très macho, dans ce qui ressemble à un concours de « mâle alpha » dont la principale proposition semble se résumer à répéter « Obama est faible je serai fort » et le mantra reaganien de « paix par la force » (peace through strength, c’est-à-dire avant tout une augmentation des dépenses militaires et un discours fort face aux adversaires et aux alliés). Je présente ici les positions des trois candidats arrivés en tête lors des caucus de l’Iowa, première élection des primaires :

Parmi eux, Marco Rubio semble le plus sérieux et intéressé par la politique étrangère ; c’est aussi le plus interventionniste, notamment en ce qui concerne le Moyen-Orient, et dont les conseillers majoritairement néoconservateurs rappellent l’administration Bush (fils). Ted Cruz et Donald Trump sont pour l’instant les deux candidats en tête des sondages pour les primaires.

Marco Rubio est sans doute celui qui s’apparente le plus aux positions néoconservatrices, dont il semble parfois réciter les dogmes. Les trois piliers de la doctrine Rubio en politique étrangère sont ainsi : l’augmentation des dépenses militaires ; la protection de l’économie américaine (libre-échange et libre circulation notamment navale, avec une volonté de contrer les prétentions chinoises notamment en mer de Chine du Sud) ; la clarté morale (soit un agenda wilsonien typique des néoconservateurs de promotion de la démocratie). Ajoutons un bémol : Rubio a durci ses positions depuis qu’il est candidat, il a été plus modéré dans le passé en soutenant en particulier les négociations avec l’Iran (cf. discours à la Brookings en 2012).

Ted Cruz est plus ambigu, mais on peut le rattacher davantage à la tendance isolationniste du parti républicain qu’à un néoconservatisme qu’il critique comme position de l’establishment (il rejette par exemple la promotion de la démocratie comme objectif de la politique américaine). Il est surtout incohérent : ainsi sur le Moyen-Orient, il critique comme les autres la faiblesse d’Obama, tout en proposant une politique qui est proche de celle suivie par l’actuel président (Obama a le mérite de la cohérence, puisqu’il a toujours indiqué que la lutte contre le terrorisme de l’EI ne devait pas être la seule priorité de la politique étrangère américaine – alors que Cruz dit justement que ce doit être la priorité absolue). En fait, Cruz semble vouloir définir une troisième voie pour la politique étrangère républicaine, entre Rand Paul et Marco Rubio, mais sans parvenir à lui donner corps.

Enfin Donald Trump est le plus incohérent (pour rester polie), pas seulement en politique étrangère d’ailleurs, et le plus difficile à cerner. C’est avant tout un populiste classique, et il ne faut sans doute pas trop tirer de ses prises de position. Elles sont marquées, au-delà des gesticulations habituelles de son camp, par l’exploitation de la peur et du ressentiment d’une partie des Américains (comme pour toutes ses positions), par son ignorance du sujet et des enjeux (ne sait pas ce qu’est la triade nucléaire, confond chasseurs et bombardiers, Quds – force Al Qods iranienne – et Kurdes), mais surtout par deux arguments : ses talents de négociateur (il « résoudrait le conflit israélo-palestinien en deux semaines », saurait s’entendre avec Poutine) ; sa combativité, qui rétablirait la position de « l’Amérique contre le reste du monde » (faire payer les alliés pour le parapluie américain en Europe comme en Asie, ouvrir une guerre commerciale avec la Chine). Un article récent de Thomas Wright de la Brookings, salué par de nombreux commentateurs, présentait la politique étrangère de Trump comme une politique isolationniste typique d’un passé révolu de l’Amérique. Mais il me semble douteux de définir une politique étrangère Trump à partir des déclarations du personnage, qui sont avant tout démagogiques et surtout contradictoires, pour ne pas dire plus. Il est intéressant de noter enfin qu’il n’a pas de conseillers connus (pour l’instant) : le think tank bastion des néoconservateurs American Enterprise Institute (AEI) a même proposé ses services, proposition déclinée par la campagne Trump. Cela dit, je ne crois pas à une victoire de Trump ; même s’il obtenait la nomination républicaine, il ne gagnerait pas l’élection générale – à moins de circonstances vraiment exceptionnelles.