C’est toujours un honneur d’écrire un article pour le Ramsès (souvenir de mes années d’étudiante, à l’époque je le lisais intégralement…), et cette édition 2020 « Un monde sans boussole ? » est tout aussi passionnante que les précédentes, grâce aux auteurs que l’IFRI sait réunir chaque année.
Le sommaire détaillé se trouve ici, accompagné de huit vidéos sur certains thèmes essentiels.
J’y signe l’article sur « Les Etats-Unis et le Moyen-Orient » dont voici les paragraphes introductifs et une courte bibliographie:
Depuis Obama, les Etats-Unis ont exprimé leur volonté de se distancier du Moyen-Orient pour se concentrer sur le défi chinois. Trump suit cette voie, avec l’obsession particulière de l’Iran. Ni le président ni ses soutiens dans l’opinion ne souhaitent l’affrontement militaire, mais le dérapage d’une crise demeure possible.
Après trois décennies de surinvestissement militaire américain au Moyen-Orient, Trump confirme la volonté de désengagement, rendue possible par la nouvelle indépendance énergétique américaine et motivée par la priorité à l’Asie, désengagement déjà entamé sous Obama. Avec Daech vaincu sur le plan territorial, la campagne lancée par Obama en 2014 touche à sa fin, et Trump en a pris acte en annonçant en décembre 2018 la fin de la présence américaine en Syrie. L’interventionnisme américain en Irak avait profité à l’Iran, qui a préparé le terrain au retour de la Russie. Aujourd’hui l’Iran n’a plus les moyens de ses ambitions, et les Etats-Unis n’ont plus les ambitions de leurs moyens[1], même s’ils conservent leur très large empreinte militaire dans la région.
La politique américaine au Moyen-Orient est un cas d’école de la politique étrangère de Trump, avec ses caractéristiques et ses contradictions : des idées-fixes et des déterminants intérieurs – effacer l’héritage d’Obama sur l’Iran, signer des contrats d’armement, faire la politique de sa base évangélique pro-Israël ; une dissonance cognitive au sommet, parfois réelle, parfois instrumentalisée, qui brouille, à dessein ou non, la perception de la politique américaine ; une volonté de privilégier les instruments économiques, plutôt que militaires ou diplomatiques, de la politique étrangère ; un « état final recherché » qui pourrait se résumer à « éviter d’être entraîné dans de nouveaux conflits dans la région »…
La convergence des intérêts entre Israël, l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis pourrait ouvrir la voie à une nouvelle architecture de sécurité régionale, si la Russie y voit également son intérêt – en attendant la concrétisation de l’Alliance stratégique pour le Moyen-Orient, future OTAN arabe encore dans les limbes. C’est du moins ce qui ressemble le plus à la « vision » américaine actuelle, la stratégie pouvant se résumer à l’endiguement (containment) de l’Iran et même plus largement du Moyen-Orient, afin de « maintenir à distance » la région et de permettre à Washington de se concentrer sur le défi chinois, objectif premier de la stratégie américaine dans la continuité d’Obama.
[1] L’expression est de Louis Blin, voir bibliographie.
Bibliographie :
Louis Blin, Farhad Khosrokhavar, « Recompositions et rivalités d’empires dans le Golfe », Les Carnets du CAPS, n° 27, été 2019.
Maya Kandel, « Etats-Unis Arabie Saoudite, une alliance ambigüe », Questions Internationales, n°89, janvier-février 2018.
Afshon Ostovar, « Why It’s Tough to Get Tough on Iran », Foreign Affairs, October 2017.
Micah Zenko, US Military Policy in the Middle East: An Appraisal, Chatham House Research Paper, 2018.