Alors que François Hollande se rend cette semaine aux Etats-Unis, j’ai voulu faire le point sur la philosophie dominante à Washington aujourd’hui quant au rôle des Etats-Unis sur la scène internationale. Résultat : le flou domine, et les deux partis sont divisés.
Gideon Rachman mettait en garde récemment dans le Financial Times : « préparez vous, les indispensables Américains se retirent ». Il n’est ni le seul ni le premier à écrire sur la fin du rôle de gendarme du monde de l’Amérique et déjà plusieurs pays semblent avoir pris acte du retrait américain, qu’il s’agisse d’Israël, de l’Arabie Saoudite ou encore de la France. Il pose cependant la question intéressante de savoir s’il s’agit d’une des phases cycliques dont les Américains sont coutumiers, ou d’un véritable tournant – une adaptation des Etats-Unis à l’émergence d’un monde post-américain, en quelque sorte.
La dernière étude du Pew Research Center sur l’opinion américaine a mis en évidence la réticence croissante des Américains vis-à-vis de l’engagement international de leur pays, qui atteint aujourd’hui des niveaux inédits depuis que ces études existent – plus d’un demi-siècle quand même. Mais comme son directeur, Bruce Stokes, l’a également fait remarquer, si le public et les élites s’accordent pour constater le déclin de la stature internationale des Etats-Unis, ils n’en tirent pas les mêmes conclusions : pour plus de la moitié des Américains, leur pays en fait trop pour résoudre les problèmes du monde ; à l’inverse, seul un cinquième des experts du Council on Foreign Relations (symbole de l’establishment américain en politique étrangère) considère que le pays est trop investi dans les affaires mondiales.
Le sentiment isolationniste croissant dans la population américaine explique le succès du sénateur Rand Paul et la popularité des combats emblématiques dans lesquels il s’est récemment illustré au Congrès, que ce soit sur l’aide américaine à l’Egypte, au Pakistan, ou encore dans le débat sur les drones. Pourtant, le politologue Colin Dueck démontre de manière convaincante dans un récent article de Foreign Affairs que le succès de Rand Paul auprès de la base républicaine est sans doute trompeur : pour Dueck, la ressemblance n’est que de surface, et traduit l’hostilité à l’engagement multilatéral américain (et plus généralement à tout ce que fait Barack Obama) ; en réalité, explique Dueck, la base conservatrice du GOP est beaucoup plus viscéralement nationaliste et pro-militaire que ne le laisse croire le succès de Rand Paul (ce qu’il appelle la différence entre « Jeffersoniens » et « Jacksoniens » en politique étrangère). Dueck invoque d’ailleurs la même étude de Pew mais pour pointer un autre résultat : 63% des républicains veulent que les Etats-Unis demeurent la puissance militaire dominante dans le monde. En bref, on peut faire dire ce qu’on veut à ce sondage (comme souvent).
Il reste le constat indéniable, côté républicain, d’un décalage croissant, si ce n’est d’un rejet, entre la base des républicains et l’establishment du parti, où la philosophie dominante reste résolument internationaliste, voire néoconservatrice – on songe aux critiques contre Obama portées récemment par le sénateur Ted Cruz, qui prend date pour la compétition des primaires républicaines pour la présidentielle (2016) à la fois contre Rand Paul et face à son autre collègue du Sénat (décidément) Marco Rubio.
Côté démocrate, les divisions sont tout aussi présentes et importantes en politique étrangère, comme le montre l’opposition des démocrates du Congrès à plusieurs politiques emblématiques du président Obama, que ce soit sur l’Iran ou sur le TPP (traité de commerce transpacifique), pourtant présenté comme la pierre angulaire du pivot vers l’Asie. On le voit également dans la récente vague d’articles critiques parus sur la dimension « trop faucon » (va-t-en-guerre) de Hillary Clinton, pourtant très représentative du courant des interventionnistes libéraux dominants dans l’establishment démocrate de politique étrangère.
Et le débat sur l’aide à l’Afghanistan et la présence américaine post-2014 n’a pas encore commencé au Congrès…
En bref, il n’y a aujourd’hui plus aucun consensus à Washington sur la politique étrangère et le rôle des Etats-Unis dans le monde.
L’isolationnisme américain n’est-il pas une sorte de « paradis perdu », une posture du passé à laquelle certains pensent avec nostalgie mais qui serait très difficilement compatible avec les réalités politiques, économiques et stratégiques du XXIème siècle?
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J’aime bien votre référence au « paradis perdu ».
En effet, l’isolationnisme américain est surtout un mythe et une référence nostalgique et idéalisée aux avertissements des Pères fondateurs (les « monsters to destroy »)
Par ailleurs, les Etats-Unis n’ont jamais été isolationnistes sur le plan du commerce.
Sur « le mythe de l’isolationnisme américaine »:
http://www.heritage.org/research/reports/2013/09/the-myth-of-american-isolationism-commerce-diplomacy-and-military-affairs-in-the-early-republic
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Au fond est-ce que l’isolationnisme américain n’est pas définitivement mort avec la fin de la « sécurité gratuite »?
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