Ce n’est pas le moindre des paradoxes: alors que Trump semble vouloir anéantir l’héritage de son prédécesseur, il a pourtant fait sienne la « doctrine Obama » de l’empreinte légère (light footprint). J’y reviendrai en détail dans un prochain post.
En attendant, voici quelques réflexions sur les Etats-Unis, la guerre et la paix aujourd’hui, livrées à l’occasion de la sortie du Dictionnaire de la guerre et de la paix (PUF), sous la direction de Benoît Durieux, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer et Frédéric Ramel, auquel j’ai eu le plaisir et l’honneur de contribuer.
Les Etats-Unis, la guerre et la paix depuis la fin de la guerre froide
La période s’ouvre avec la guerre du Golfe de 1991, emblématique s’il en est de l’American way of war ou du moins d’une culture stratégique américaine dominante au XX siècle, privilégiant les affrontements interétatiques et l’atout technologique. Mais les années 1990 sont en réalité bien davantage une décennie de diplomatie coercitive caractérisée par l’utilisation de frappes militaires ponctuelles dans le cadre d’une augmentation marquée des interventions militaires : une intervention tous les 18 mois de 1989 à 2001, soit un record dans l’histoire américaine : ce sont les « guerres en temps de paix » du titre d’un ouvrage emblématique de l’époque.
La décennie 1990 est suivie après les attentats du 11 septembre 2001 par une décennie de déferlement de la puissance militaire américaine sur le monde, qui se termine dans l’échec, le doute et la hantise du déclin. La décennie 2000 est aussi marquée sur le plan doctrinaire par le tournant que constitue l’officialisation de la doctrine Bush de guerre préventive, qui conduit à l’invasion irakienne de 2003.
Mais cette décennie voit également les Etats-Unis renouer avec un autre pan de la culture stratégique américaine (d’où les limites du concept…), aux origines plus anciennes et que certains considèrent même comme l’American way of war originel : la contre-insurrection ou COIN, était bien caractéristique de ce qu’on a appelé les « petites guerres » des XVIII et XIXe siècles américains.
Enfin sous Obama, c’est la stratégie indirecte qui est remise à l’honneur, avec l’empreinte légère ou light footprint, qui du côté du Pentagone est rapidement désignée comme la « doctrine Obama ». On y retrouve deux constantes de l’histoire militaire américaine, peut-être les plus révélatrices d’une culture stratégique, ou du moins de pratiques récurrentes, américaines: interventions en coalition et interventions par procuration. Les modalités de l’empreinte légère sont définies pour coûter moins cher d’abord, pour être moins visibles ensuite, mais aussi, voire surtout, pour « gérer les menaces » avec le minimum d’interférence pour la population américaine, une population désormais fatiguée de l’interventionnisme militaire de ses dirigeants (découplage opinion / élites).
Paradoxe et ironie : le principal héritage de la politique étrangère d’Obama semble devoir être la manière de faire la guerre.
C’est évidemment un paradoxe pour celui qui avait obtenu le Prix Nobel de la Paix dès sa première année de mandat, et déclarait que la guerre contre le terrorisme « comme toute guerre, devra prendre fin ». Or avec la redéfinition des modalités d’intervention, il semble avoir au contraire installé les Etats-Unis dans une ère de guerre permanente – voire de guerre préventive permanente, pour reprendre une expression de Pierre Hassner.
L’ironie quant à elle se trouve dans le fait que Trump, pourtant obsédé par sa volonté de défaire l’héritage de son prédécesseur, du TPP à l’accord sur le climat en passant par Cuba et peut-être bientôt l’Iran, semble cependant vouloir conserver la « doctrine Obama » en matière d’emploi de la force.
Cela montre bien que les contraintes intérieures qui ont largement déterminé le choix de ces modalités n’ont pas disparu aux Etats-Unis, et se sont même accentuées : en particulier, le Congrès, et les Américains, demeurent majoritairement opposés à l’envoi de troupes au sol dans des guerres étrangères et l’isolationnisme, dont on a beaucoup parlé, doit avant tout être compris en ce sens.
D’où le soutien de l’opinion américaine à une approche de la guerre taillée pour lui permettre de l’ignorer et de maintenir l’illusion de vivre en paix.
Il y a là une évolution profonde pour un pays où le soutien de l’opinion a toujours été nécessaire pour mener une guerre sur la durée, rendant impossible pour un président de poursuivre longtemps une guerre impopulaire.
Enfin, il y a une autre évolution profonde dont l’empreinte légère est peut-être aussi le symptôme : il y a toujours eu un lien entre l’activisme international des Etats-Unis, notamment par la guerre, et l’objectif beaucoup plus vaste de façonner, garantir ou défendre un ordre international favorable à leurs intérêts. Dès lors la pérennité de la doctrine Obama semble confirmer le désengagement relatif américain du monde, ou du moins une nouvelle position, primus inter pares dans un monde multipolaire à l’ordre contesté, plutôt que garant ultime de l’ordre international qu’ils avaient créé en 1945.
