Il faut le dire d’emblée: il n’y a pas de doctrine Trump. Ce qui n’enlève rien à la nécessité de s’interroger sur la manière dont l’actuel président américain voit le monde et entend gérer les affaires extérieures des Etats-Unis.
Je ne reviens pas ici sur les multiples déclarations contradictoires, de la part du président lui-même comme de son entourage. Dernière illustration éclatante, la crise autour du Qatar a exposé à nouveau les graves dissensions entre les membres de son équipe. On se souvient également des rumeurs récurrentes sur une marginalisation de Steve Bannon, aussitôt démenties par des articles évoquant la disgrâce de McMaster…
L’exemple le plus éclairant de l’absence de doctrine Trump : il y a deux mois en Arabie Saoudite, Trump faisait un grand discours sur le terrorisme où il semblait rompre avec la rhétorique du choc des civilisations qui avait imprégné sa campagne. La presse s’empressait d’y voir la victoire des « adultes de l’équipe » (McMaster, Mattis) contre l’aile nationaliste de Bannon. Las ! Début juillet à Varsovie, on pouvait constater le retour en force d’un discours sur le thème de la lutte civilisationnelle et de la défense de l’Occident, au grand plaisir du président polonais. Les positions sur l’OTAN ont connu un destin aléatoire similaire. Qu’en conclure?
Il est clair qu’il y a toujours une lutte acharnée à Washington et au sein même de la Maison Blanche pour la définition de l’âme du Trumpisme, entre globalistes et nationalistes.
Mais justement ce que montrent les derniers mois et notamment les discours de Trump lors de ses déplacements à l’étranger, c’est qu’il est sans doute illusoire d’attendre une résolution de cette tension, une victoire d’un camp contre l’autre. Trump lui-même n’est pas un idéologue, il aime improviser, et cultive son image d’imprévisibilité. Surtout, il aime avoir près de lui des gens qui se battent pour le convaincre. Il n’a aucune raison de donner la victoire à l’un ou l’autre camp : au contraire, il a tout intérêt à donner des gages et laisser espérer les uns comme les autres, tout en maintenant l’ambigüité. C’est d’ailleurs toujours ainsi que Trump a procédé, dans son passé de businessman, cultivant et maintenant auprès de lui des centres de pouvoir rivaux; c’est un homme qui a besoin d’éprouver son pouvoir et d’être courtisé.
Tout cela est bien sûr inquiétant, et sur certains dossiers plus encore. On pense notamment au Moyen-Orient, où l’on attend toujours la stratégie américaine, d’autant plus que les divisions semblent s’accentuer, en particulier entre département d’Etat et Pentagone, sur le dossier syrien. L’administration semble toujours hésiter entre deux choix et deux priorités : mettre fin à la guerre en Syrie, ou, bien au-delà, participer à la redéfinition de l’ordre régional au Moyen-Orient; dans ce dernier cas, la question du rôle à donner à la Russie, mais aussi à la Turquie, n’a pas été tranchée. Il faut surtout rappeler que le seul point commun de l’équipe disparate de politique étrangère est une franche hostilité à l’Iran, y compris de la part de Mattis, souvent considéré comme « le principal adulte dans la pièce » (lire cet excellent portrait de Mattis dans le New Yorker). Or, si, pour l’instant, Trump a choisi de ne pas se retirer de l’accord sur le nucléaire, il n’a pas non plus tranché sur l’avenir de la relation entre Washington et Téhéran.
Il faut également rappeler que la principale inflexion de la présidence Trump sur la lutte contre le terrorisme est une plus grande latitude donnée au Pentagone pour la conduite des opérations militaires, latitude qui a déjà entraîné une intensification de l’implication militaire américaine, de la Somalie à l’Afghanistan en passant par le Yémen. Pourtant, même sur ce plan, il ne semble pas y avoir de ligne directrice fixée absolument: ainsi cet article évoque un « plafond » secret défini par la Maison Blanche sur le nombre de soldats supplémentaires que le Pentagone pourra envoyer en Afghanistan; Mattis n’a pas les mains entièrement libres. De même, le Gal Votel, ancien patron des forces spéciales désormais commandant de CENTCOM, à ce titre à la tête des opérations militaires américaines dans plus de 20 pays, insiste sur les continuités avec Obama dans les modalités d’emploi de la force.
En somme, deux certitudes existent aujourd’hui : Trump est davantage militariste qu’isolationniste; et Macron a été très malin de l’inviter pour le défilé du 14 juillet.
Réécouter l’émission Géopolitique sur RFI « l’Iran, acteur incontournable au Proche et Moyen-Orient » à laquelle j’ai participé avec Pierre Razoux.