Après l’Arabie Saoudite, Israël, et le Vatican, Trump terminera son premier voyage à l’étranger par une réunion de l’OTAN à Bruxelles. L’occasion de dresser un état des lieux de la relation transatlantique et de ses priorités vues de Washington aujourd’hui, car « le système » continue de travailler malgré le chaos qui caractérise la vie politique américaine sous le régime Trump.

NATO on the move

  1. Politique étrangère : un président incohérent, une équipe plus traditionnelle

Inutile de revenir sur les contradictions de Trump sur l’OTAN, son ignorance évidente des grands dossiers, et les déclarations incohérentes qui en découlent – un article récent parlait de doctrine de l’incompétence de l’actuel occupant de la Maison Blanche, constat qui exprime la conclusion à laquelle beaucoup d’analystes sont arrivés depuis longtemps.

MAIS il faut souligner que son équipe de sécurité nationale est beaucoup plus « traditionnelle » et a réaffirmé l’engagement américain vis-à-vis de l’OTAN : Mattis au Pentagone, mais aussi McMaster au NSC, le vice-président Pence : tous ont réaffirmé l’importance des alliances pour les Etats-Unis et au premier chef de l’OTAN, l’alliance transatlantique demeurant au cœur de la stratégie américaine.

Mais parmi les (très nombreux) problèmes de la nouvelle administration américaine, il faut rappeler le retard dans les nominations, en particulier au Pentagone et au département d’Etat (75% des postes politiques), d’où l’absence d’interlocuteurs et de politiques définies. A noter cependant la nomination la semaine dernière du responsable Europe OTAN au Pentagone (Thomas Goffus), et les rumeurs sur la nomination comme ambassadrice américaine à l’OTAN de Kay Bailey Hutchinson.

  1. L’importance de l’héritage Obama – parce que les orientations après la rupture 2014 sont toujours à l’œuvre, en l’absence de nouvelle ligne politique définie 

On le voit avec la poursuite des déploiements, exercices et dépenses prévus pour l’Europe via l’ERI (European Reassurance Initiative), initiative de réassurance européenne créée par Obama en 2014.

Rappelons que 2014 a été un tournant pour la politique étrangère de l’administration Obama, sur le transatlantique mais pas seulement (Moyen-Orient). La création de l’ERI traduisait la reconnaissance du nouveau contexte sécuritaire européen suite à l’annexion de la Crimée par la Russie, et de l’erreur de jugement de l’administration Obama sur l’Europe. Il suffit de voir le contraste entre les stratégies de sécurité nationale de 2010 et 2015 : on passe de l’Europe solution à l’Europe de nouveau problème, vulnérable face à la Russie, qui elle passe de partenaire à adversaire (en Europe du moins). En 2015 la nouvelle stratégie de théâtre de EUCOM (commandement militaire américain pour l’Europe) acte le retour du rôle historique des Etats-Unis comme acteur majeur de la sécurité en Europe.

Pour mémoire, l’ERI a commencé avec un budget de 800 millions de dollars en 2015, en 2017 : 3,4 milliards, votés par le Congrès sous Obama donc on voit bien que côté parlementaires, il n’y a pas d’ambiguïté ni d’atermoiement sur l’OTAN et sur le rôle de l’alliance transatlantique face à la Russie.

Les objectifs de l’ERI sont :

  • accroitre la présence militaire américaine en Europe (après le mouvement continu de décroissance des effectifs depuis la fin de la guerre froide) ;
  • renforcer infrastructures et équipements pré-positionnés en Europe de l’Est ;
  • financer Operation Atlantic Resolve, initiative de formation et de coopération sécuritaire pour l’interopérabilité avec les pays baltes, la Pologne, la Roumanie, la Bulgarie et la Hongrie.

Venu témoigner au Congrès, le commandement américain pour l’Europe (et SACEUR de l’OTAN) Scaparrotti a précisé la transition en cours de l’ERI de la réassurance des alliés à la dissuasion de la Russie, et parlé du retour de EUCOM à son « rôle historique de commandement combattant » alors que depuis la fin de la guerre froide EUCOM faisait plutôt de la coopération sécuritaire.

ERI

  1. Russie, terrorisme, US Army, partage du fardeau : les enjeux de l’OTAN pour Washington

Les priorités de l’OTAN pour Washington aujourd’hui sont la lutte contre le terrorisme, une plus grande contribution des Européens, et, pour certains acteurs du moins, la Russie – mais il faut noter que lorsque Trump a déclaré que l’OTAN n’était « pas obsolète finalement », il le faisait avec en tête la lutte contre le terrorisme, sans évoquer la vocation de l’OTAN contre la Russie en Europe (dossier russe par ailleurs de plus en plus explosif à Washington).

Concernant le partage du fardeau et l’injonction aux Européens à payer plus, il faut rappeler que c’est un leitmotiv américain depuis les années 1950 ; sous Obama, Gates avait fait un discours particulièrement vigoureux à cet égard à Bruxelles en juin 2011.

Il faut souligner également l’intérêt particulier pour l’US Army, l’armée de terre américaine, car l’Europe constitue un débouché pour l’armée de terre qui souffre des conséquences du pivot (avec son accent sur Air Sea Battle, donc la Navy et l’Air Force) : on l’a vu lors de la dernière audition de Scaparrotti au Congrès, qui portait notamment sur les dépenses d’infrastructures (pour stocker, déployer, entraîner), et l’envoi d’une brigade supplémentaire de l’armée de terre, donc.

L’intérêt du Pentagone pour le théâtre européen est également lié à deux autres commandements, CENTCOM et AFRICOM, en termes d’accès aux théâtres du Moyen-Orient et d’Afrique, et en matières de soins pour les militaires américains. Les deux priorités exprimées par Scaparrotti l’illustrent :

  • L’hôpital de Landstuhl en Allemagne, qui justement traite les blessés US venant des aires CENTCOM et AFRICOM.
  • Le centre intégré d’analyse du renseignement (Joint Intelligence Analysis Center) pour la coopération en la matière entre EUCOM, AFRICOM et NIFC (centre OTAN).

A cet égard, il faut noter que l’ERI étant financée sur le budget des opérations (OCO), elle n’est donc pas soumise aux restrictions budgétaires (séquestration), mais doit être défendue chaque année. D’où les voyages fréquents de Scaparrotti au Congrès, où il est clairement soutenu par parlementaires de commissions compétentes.

Parmi les autres dossiers épineux : la Turquie.

  1. Afghanistan : nouvelle stratégie américaine, quel rôle pour l’OTAN ?

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Les fuites sur la nouvelle stratégie demandée par Trump au Pentagone évoquent 3000 à 5000 soldats américains supplémentaires sur le terrain, une sorte de mini-surge, et l’équivalent au moins qui serait demandé aux membres de l’OTAN. Sur ce dernier point, c’est loin d’être gagné, la France comme l’Allemagne ayant déjà exprimé des réticences. La nouvelle stratégie doit encore être validée par Trump.

Mais ces fuites posent aussi de nombreuses questions, sur la nature de l’ennemi (comme souvent lorsque l’on parle de terrorisme), et en particulier : s’agit-il à nouveau de combattre les Talibans ? Obama avait cherché à négocier avec les Talibans (sans grand succès), et avait recentré la lutte sur AQ, l’EI et quelques autres groupes, mais en retirant en 2014 l’autorité au Pentagone de cibler les Talibans. On sait que Trump a donné carte blanche à ses militaires, et on a vu déjà quelques conséquences (MOAB en avril). Se pose également à nouveau la question de la politique américaine vis-à-vis du Pakistan.

Cette revue stratégique évoque celle d’Obama en 2009 et les faibles résultats du surge qui avait marqué sa première année de mandat, portant les troupes américaines jusqu’à 100 000 hommes sur place. On en revient toujours à la question posée par le général Petraeus en 2003 : « tell me how this ends ».

  1. En conclusion :

Quelles sont les attentes pour le sommet du 25 mai : sans doute une réaffirmation claire de l’article 5 par Trump et de la vocation de l’OTAN contre la Russie ; mais ce que l’on verra sera certainement axé davantage sur la lutte contre le terrorisme. Les membres de l’OTAN, dont la plupart participent de toute façon aux opérations de la coalition anti-EI, pourraient d’ailleurs proposer de s’y joindre formellement pour faire plaisir à Trump. Mais on reste dans le damage-control, et il n’est pas sûr qu’on en sorte…

Parmi les tendances profondes, il faut cependant signaler le renouveau notable à Washington de l’intérêt pour les affaires européennes, avec le retour de centres transatlantiques dans les principaux think tanks, alors qu’on les avait vus fermer les uns après les autres depuis le début des années 2000.