Le Sommet de l’Otan qui se tient les 4 et 5 septembre 2014 au pays de Galles (Royaume-Uni) invite à s’interroger sur l’avenir du partenariat transatlantique. Voici quelques réflexions, dans un article que j’ai rédigé pour La Documentation Française (P@ges Europe) et dont je présente à la suite un extrait (lire l’article intégral directement ici).

Poutine et Porochenko le 23 août à Minsk  REUTERS POOL

Après l’enthousiasme débridé provoqué par son élection, le premier mandat présidentiel de Barack Obama (2009-2012) avait été marqué par une certaine désillusion européenne face à un président américain qui semblait peu intéressé par « le Vieux continent » et qui avait fait du pivot vers l’Asie le cœur et le symbole de sa politique étrangère. Le pivot a en effet déclenché chez les Européens une véritable crise d’angoisse dans la mesure où il remettait en question de façon sous-jacente le partenariat transatlantique : car si les États-Unis pivotaient vers l’Asie-Pacifique, ils ne pouvaient que se détourner de leur façade atlantique, et donc de l’Europe. En un sens, il s’agissait là de l’aboutissement d’un éloignement entre les deux rives de l’Atlantique en germe depuis la fin de la Guerre froide.

Même l’intervention en Libye, qui semblait de prime abord démontrer aux Américains l’utilité des Européens, a laissé un goût amer en raison des divisions apparues au grand jour au sein de la relation transatlantique – sans même parler du bilan a posteriori de l’intervention contre le régime du colonel Kadhafi. Enfin, autre source de doutes, l’avenir de l’Afghanistan, autre lieu d’une intervention également emblématique de l’Otan au cours du nouveau siècle, la plus importante jamais menée par l’Alliance, est plus que jamais incertain. Le retrait des 87 000 soldats encore présents en Afghanistan, prévu pour fin 2014, sera d’ailleurs un des sujets du Sommet de septembre ; ils doivent être remplacés en 2015 par une force de 8 à 12 000 hommes, chargés de former et d’assister les forces armées afghanes. Si l’on ajoute la tendance des contributions militaires des États membres à une baisse continue, qui conduit les États-Unis à assumer désormais plus des trois quarts du budget de l’Otan, force est de constater que le partenariat transatlantique ne paraît pas aujourd’hui au mieux sur le plan stratégique.

Pourtant, la crise ukrainienne, qui s’est envenimée en février 2014 avec l’annexion de la Crimée par la Russie, puis le basculement de l’Ukraine dans la guerre, semble pour certains avoir redonné un sens et une raison d’être à l’Alliance transatlantique. La Russie au secours de l’Otan ? L’argument a pu être entendu alors que l’Organisation se réunit les 4-5 septembre au pays de Galles pour son premier sommet de l’ère post-Afghanistan, dont beaucoup craignaient, il n’y a pas si longtemps encore, qu’il ne sonne le glas de l’organisation. « À la faveur » des événements en Ukraine, l’Otan semble donc avoir retrouvé une raison d’être et le partenariat transatlantique, un nouveau souffle.

Pour autant, la Russie a surtout servi pour l’instant à révéler, une nouvelle fois, l’étendue des divisions, d’une part, entre Européens, d’autre part, entre ces derniers et les États-Unis. La crise ukrainienne pose plusieurs interrogations existentielles pour l’avenir du partenariat transatlantique : notamment celle de la convergence des intérêts européens et américains, ou encore celle de leur relation avec la Russie et, au-delà, de leur vision respective des menaces et du système international actuel.

On retrouve les mêmes interrogations dans un autre domaine-clé de la relation transatlantique et de son évolution : celui des négociations économiques sur le traité transatlantique (TTIP). Sur ce plan comme sur le plan stratégique, se posent à nouveau les questions d’une part, de la convergence d’intérêts entre les deux rives de l’Atlantique, d’autre part, de la vision des autres grands acteurs et régions du monde. Alors que la relation avec la Russie est au cœur de la réflexion stratégique, sur le terrain économique, celle avec la Chine est désormais déterminante pour l’évolution du partenariat transatlantique.

La dimension stratégique

Le manque d’intérêt du Président Obama pour l’Europe était manifeste dès le début de son premier mandat (sommet États-Unis/UE boudé en 2009, priorité marquée pour l’Asie, etc.). Il y avait là pour les Européens une occasion à saisir, une fenêtre d’opportunité en particulier pour transformer l’Otan, qu’ils auraient pu se réapproprier tant l’intérêt pour l’Alliance atlantique était faible, à l’époque, à Washington. Il aurait pour cela fallu définir une stratégie européenne, en précisant les menaces et les intérêts communs aux Vingt-Sept, et partant préciser la politique à l’égard du voisinage européen à l’Est et au Sud. Cette opportunité a été ratée et la fenêtre s’est refermée début 2014 avec la crise ukrainienne. Les Américains ont perdu toute illusion sur la défense européenne. Sans compter qu’à Washington, la guerre en Ukraine a réveillé certains secteurs (notamment républicains, et également au sein de l’Otan) tout heureux de retrouver un adversaire et, partant, des repères familiers.

Pour autant, l’Ukraine n’a pas résolu les dilemmes transatlantiques ; au contraire, elle a plutôt mis en évidence à la fois les divisions intra-européennes et les dissensions transatlantiques. Car la perception de la Russie et de la menace qu’elle constituerait diffère largement en Europe entre les pays de l’ex-sphère soviétique et les autres, en particulier ceux de la façade occidentale et les États méditerranéens, surtout préoccupés par la menace terroriste venant du Sud. La crise a ainsi mis en évidence l’absence de politique européenne à l’égard de la Russie, révélatrice du manque de vision commune entre Européens vis-à-vis de ce pays. Elle a surtout posé la question du degré d’interdépendance atteint entre Europe et Russie, principal obstacle à la convergence transatlantique sur ce dossier.

Ces réalités n’échappent pas à la Russie qui « joue » la division transatlantique, comme au temps de la Guerre froide d’ailleurs, un jeu que les Américains maîtrisent également. Mais Moscou se positionne surtout en leader du camp anti-occidental, face à la baisse  progressive d’influence des pays occidentaux – que la Russie connaît également à la différence près qu’elle pense avoir trouvé dans cette stratégie anti-occidentale le moyen d’enrayer son propre déclin. En témoigne son argumentaire récurrent sur les promesses non tenues des Occidentaux au sujet de l’extension de l’Otan vers l’Est européen. Au-delà de la polémique sur ce qui s’est vraiment passé en 1990(1), l’argument russe sur la duplicité occidentale, dans le contexte actuel, fait mouche rencontrant un écho à l’extérieur tout en servant l’ambition profonde de Vladimir Poutine qui est de réaffirmer la place de la Russie parmi les puissances de premier plan sur la scène internationale(2).

Aussi étonnant que cela puisse paraître, les Européens n’avaient pas anticipé la réaction russe dans cette compétition pour l’Ukraine. La confrontation actuelle est d’ailleurs un échec avant tout européen dans la mesure où c’est à l’Union européenne (UE) que les États-Unis d’Obama avaient laissé le leadership sur le dossier ukrainien, considéré par l’administration démocrate comme une crise à gérer et non comme une opportunité d’élargir le camp occidental(3).

Pour Barack Obama, la Russie n’est ni une priorité, ni un adversaire(4). Ainsi, on se souvient des propos tenus par le président américain en Europe en mars 2014, qualifiant la Russie de « puissance régionale agissant par faiblesse ». La phrase, maladroite et contre-productive, était néanmoins des plus franches : pour B. Obama, le seul adversaire à la mesure des États-Unis (si ce n’est aujourd’hui, du moins dans un avenir proche et inévitable) est la Chine. Et si la vision américaine de la Russie n’a jamais été aussi négative depuis la fin de la Guerre froide, elle va de pair avec un refus clair de toute implication militaire américaine contre les Russes(5). C’est aussi la raison pour laquelle le président américain pouvait affirmer dans un entretien, le 8 août 2014, au New York Times, que « Poutine peut envahir l’Ukraine »(6). Contrairement à ce que les signes de « réassurance » et autres déploiements militaires américains en Europe au printemps 2014 ont pu laisser croire, Washington n’ira pas au-delà des sanctions économiques qui, par ailleurs, affectent peu ses intérêts.  

Lire la suite sur le site de la Documentation Française.