Sur le gros dossier de l’été, l’Irak, la Syrie et la lutte contre l’Etat Islamique, voir ces deux précédents post, « Etats-Unis Irak, le retour » et « L’assassinat de James Foley et la stratégie américaine en Irak ».
Je reviens ici en détails sur deux autres dossiers importants, l’évolution de la situation en Ukraine et avec la Russie, à quelques jours du prochain sommet de l’OTAN (avec un prochain post à suivre), et le premier sommet Etats-Unis Afrique qui s’est tenu début août à Washington. Enfin je vous propose également une sélection d’articles, enquêtes et entretiens à ne pas rater.
Retour sur le sommet (historique ?) Etats-Unis Afrique à Washington (4-6 août 2014)
Pourquoi ce sommet inédit et selon beaucoup historique – bien que le nombre de chefs d’Etat africains présents ait constitué un véritable casse-tête protocolaire et empêché tout entretien avec le président américain ? Il s’agissait avant tout pour Obama de tenter de remédier à la déception (après l’enthousiasme démesuré) provoquée par sa présidence, et de montrer qu’il s’intéresse à l’Afrique. Cet article résumé bien cette déception des Africains vis-à-vis d’Obama, premier président noir et de père africain, mais qui finalement en a fait moins pour l’Afrique que son prédécesseur, George W. Bush. L’auteur rappelle quelques chiffres intéressants notamment sur la compétition avec la Chine, ainsi que sur le programme phare de Bush sur le Sida, PEPFAR (sur la compétition avec la Chine, lire cet article de la BBC sur le regard des médias chinois sur le sommet de Washington).
Côté politique, cette tribune du représentant républicain Ed Royce, président de la commission des affaires étrangères à la Chambre et très impliqué sur l’Afrique, où il travaille dans un esprit bipartisan avec les membres républicains et démocrates intéressés par le continent, évoque un autre reproche souvent entendu à Washington lors du sommet, chez certains politiques, journalistes et experts Afrique. Royce regrette que la Maison Blanche n’ait pas insisté davantage sur les objectifs de bonne gouvernance et la nécessité de promouvoir des élections libres et justes dans tous les pays africains.
Des ONG comme Human Rights Watch ont également regretté que les droits de l’homme n’aient pas figuré au menu des conversations et condamné l’aide apportée par les Etats-Unis, notamment dans le cadre du contre-terroriste, à des militaires coupables d’exactions ou à des pays peu respectueux des libertés de leurs concitoyens. Cet article rappelle quelques chiffres sur la présence militaire américaine sur le continent.
Concernant les nouveautés liées au sommet, ces deux documents (factsheets) publiés sur le site de la Maison Blanche en résument utilement deux aspects : Le premier document rappelle la contribution américaine aux efforts de maintien de la paix en Afrique, avec des données chiffrées et précises par pays et programme. Le second document détaille la nouvelle initiative annoncée par Obama à l’occasion du sommet, la « Security Governance Initiative », nouveau programme de coopération dans le domaine du contre-terrorisme entre les Etats-Unis et six pays africains (Ghana, Kenya, Mali, Niger, Nigeria, et Tunisie), doté de 65 millions de dollars et axé sur la réforme des secteurs de sécurité.
L’un des axes majeurs du sommet portant sur le développement des échanges économiques entre les Etats-Unis et le continent africain, domaine où la Chine a pris beaucoup d’avance, il a été beaucoup question du renouvellement de la loi-phare du Congrès, AGOA, votée pendant les années Clinton et qui doit être reconduite (ou non) en 2015. Les parlementaires réunis lors d’un atelier à la Brookings ont témoigné du soutien bipartisan au Congrès pour le renouvellement et l’extension de certaines dispositions de cette loi. A suivre donc.
Toujours dans le domaine économique, les entreprises américaines réunies à Washington ont annoncé 14 milliards de dollars d’investissements en Afrique, tandis que la Banque mondiale annonçait 5 milliards pour l’initiative Power Africa (et General Electric 2 milliards). Enfin, The Economist considère que l’impulsion donnée par Obama à la politique africaine des Etats-Unis sera une indication du degré d’engagement américain dans le monde pour le prochain siècle.
Ukraine, Russie, OTAN et relation transatlantique
Une étude du Chicago Council montre que la vision de la Russie par les Américains n’a jamais été aussi négative depuis la fin de la guerre froide. Pour autant, peu d’Américains considèrent la Russie et ses ambitions comme une menace critique pour les Etats-Unis. Ce qui explique pourquoi plus des deux-tiers des Américains sont opposés à toute intervention militaire américaine en Ukraine en cas d’invasion russe (les plus réticents étant les supporters du Tea Party). C’est aussi la raison pour laquelle Obama pouvait affirmer dans son entretien récent au New York Times que « Poutine peut envahir l’Ukraine ».
Il faut donc prendre garde aux propos à l’emporte-pièce des faucons républicains, même si au Congrès la guerre froide semble en effet de retour. A suivre tout de même, certains projets de loi qui pourraient envenimer encore la relation entre Washington et Moscou, en particulier celui du républicain Bob Corker, qui pourrait devenir le prochain président de la commission des affaires étrangères du Sénat si les démocrates perdent leur majorité aux élections de novembre prochain.
Pour revenir au prochain sommet de l’OTAN, lire cette tribune de Jan Techau de la Carnegie Europe, qui voit trois sujets-clés pour l’avenir de l’Alliance – au-delà de l’Ukraine et de l’Afghanistan : l’Allemagne, l’évaluation des menaces, l’Asie. Du même auteur, mais plus spécifiquement pour les Européens, on lira cet autre article qui annonce « 30 ans de douleur » en politique étrangère face aux deux crises existentielles que l’Europe va devoir affronter à ses frontières, à l’Est (Russie) et au Sud (terrorisme au Moyen-Orient et en Afrique).
Enfin toujours sur le sommet à venir, la vision du général Stavridis (ex commandant de EUCOM et donc SACEUR de l’OTAN) qui évoque les priorités habituelles – Russie, terrorisme au Sud, mais insiste également sur l’importance de maintenir des « zones de coopération avec la Russie, que ce soit sur l’exploration de l’Arctique, l’Afghanistan, ou encore la nécessaire coopération dans la lutte contre le terrorisme, la piraterie ou les trafics de drogue ».
De son côté, l’actuel commandant des forces américaines en Europe, le general Breedlove, insistait récemment à l’inverse sur la nécessité pour l’OTAN de redéfinir sa réponse aux menaces non conventionnelles, dans un document précisant également : « l’OTAN n’a plus considéré la Russie comme un adversaire ou une menace potentielle depuis 20 ans. Aujourd’hui, elle doit à nouveau le faire. »
Enfin, on lira cet article écrit début août par Samuel Charap de l’IISS, qui considère que la stratégie « punitive » d’Obama et des Occidentaux vis-à-vis de la Russie est vouée à l’échec et risque d’être contre-productive.
En guise de post-scriptum, il n’y a pas que l’Ukraine : au cœur de l’été, les Etats-Unis ont également accusé la Russie d’avoir enfreint le traité de contrôle des armes de portée intermédiaire de 1987, en testant un missile de croisière interdit.
La sélection : rapports, entretiens et enquêtes à ne pas rater
Rapports généraux sur la défense américaine
Nouveau rapport de l’Atlantic Council sur les commandements combattants régionaux des Etats-Unis ou COCOM : comment les réorganiser pour mieux intégrer les différentes agences politiques.
L’ex-9/11 Commission publie un nouveau rapport, dix ans après le premier, pour évaluer la situation sur le plan de la décision politique sur le contre-terrorisme, et notamment voir si ses recommandations ont été suivies en matière de surveillance des agences de l’exécutif par le Congrès. La réponse est globalement non et le ton du rapport plutôt négatif en particulier sur le fonctionnement du nouveau département de la Sécurité intérieure (Homeland Security).
Publication du rapport du National Defense Panel, une commission bipartisane chargée par le Congrès d’évaluer la QDR du Pentagone. Sans surprise, le ton du rapport est très critique, notamment sur la séquestration et la guerre budgétaire entre la Maison Blanche et le Congrès, et leur atteinte au budget du Pentagone. Mais le rapport dénonce également le « manque d’idées » du Pentagone dans la dernière QDR, en particulier l’incapacité à développer de nouveaux concepts opérationnels indispensables pour atteindre les objectifs militaires fixés notamment par la stratégie du pivot vers l’Asie.
Entretiens et portraits sur la politique étrangère américaine
Entretien avec Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller à la sécurité nationale du président Carter, sur l’incroyable instabilité du monde contemporain, le désarroi stratégique américain actuel, et l’inévitable centralité de la future relation entre Washington et Pékin, qui pourrait être stabilisatrice.
Dans un autre style, entretien avec le général Martin Dempsey, chef d’Etat-major américain, qui présente la nécessaire transformation des forces militaires américaines face à un environnement international « qui n’a jamais été aussi complexe ».
Entretien du président Obama avec l’éditorialiste du New York Times Thomas Friedman sur la politique étrangère américaine. Où l’on apprend que le plus grand regret du président est sans doute d’avoir négligé de planifier et impliquer les Etats-Unis davantage dans la transition en Libye post-intervention.
Toujours sur la politique étrangère, un autre entretien cette fois avec Hillary Clinton, dans The Atlantic (voir aussi le focus Irak).
Excellent portrait dans le New Yorker du vice-président Joe Biden et de sa relation avec Obama. Très intéressant et instructif, notamment sur la répartition des dossiers internationaux où son rôle le plus important a été, selon Obama, sur le débat sur l’Afghanistan en 2009.
Enquêtes et coulisses
Grande enquête du New York Times sur la manière dont les rançons payées par les Européens financent AQMI et d’autres groupes terroristes.
Récit détaillé des coulisses des négociations menées par Kerry sur le processus de paix, et des raisons de leur échec.
Sur la situation en Libye, lire cet article de F. Wehrey, expert de la Carnegie qui connaît bien le terrain et présente une analyse intéressante sur la nécessité de combiner de multiples niveaux de lecture pour comprendre le fonctionnement des différentes milices. Il considère par ailleurs que les actions du général Haftar ont contribué à polariser et radicaliser dangereusement la situation en Libye dernièrement.
Enfin, à lire dans le Washington Post un article très intéressant sur ce que la recherche en science politique peut nous apprendre au sujet de potentielles interventions en Syrie, en Ukraine et ailleurs.
A reblogué ceci sur Talleyrand.
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