On avait enterré sa politique étrangère (ou l’héritage qu’elle laisserait) après les événements de la première moitié 2014, on allait enterrer l’homme politique après la déroute des midterms de novembre dernier… Mais apparemment Obama n’aurait pas dit son dernier mot et le président américain multiplie les annonces-surprises depuis quelques semaines : sur l’immigration, la Chine, enfin Cuba dernièrement. Certains y voient une rupture, Obama tentant le tout pour le tout pour sauver son héritage.

(j’ai aussi évoqué ces questions, avec d’autres invités, dans la dernière édition de l’année 2014 de l’émission Géopolitique sur RFI, à réécouter ici).

GettyImages_Obama_Raul_Castro_MandelaEn réalité, les soit-disants revirements des derniers mois et semaines n’ont pas tant constitué une réorientation qu’une confirmation des choix du président Obama, choix qu’il a maintenus malgré l’ampleur et la férocité des attaques contre sa politique étrangère. Et qu’il réaffirme, les surprises en prime, depuis quelques semaines, comme galvanisé par l’adversité, ou par l’absence de nouvelles échéances électorales. Mais peut-être avait-on oublié aussi qu’Obama est formidable en campagne (2008), en particulier quand il prend ses adversaires de front (cf. ce qui reste un de ses plus beaux discours, celui sur race et racisme en 2008) ; c’est le côte compétitif du personnage (cf. aussi en 2012 après son premier débat raté face à Romney, les suivants avaient été excellents).

Cela a commencé juste après les midterms au Congrès (début novembre 2014) avec l’annonce sur l’immigration au grand dam des républicains qui ne s’attendaient pas à une contre-attaque aussi rapide et frontale. Puis est venue l’annonce d’un accord avec la Chine sur le climat. Tandis qu’au Moyen-Orient, Washington intensifiait son implication militaire, en Syrie (où 97% des frappes étaient le fait des Etats-Unis en décembre), et en Irak, où l’appui aux Kurdes ne s’est pas démenti et commence à porter ses fruits (Mont Sindjar).

Engagements militaires, Moyen-Orient, lutte contre EI

2014 a semblé confirmer un constat amer d’échec pour un président élu sur la promesse de mettre fin aux guerres de Bush, dont le désengagement d’Irak constituait un élément majeur. Plus largement, elle portait un coup sévère à la politique étrangère d’Obama, définie en particulier par un désengagement américain du Moyen-Orient, condition de la grande réorientation présidentielle en politique étrangère, le pivot vers l’Asie. Or le mois d’août 2014 a vu Washington obligé de se réimpliquer militairement face à la progression des djihadistes du groupe Etat Islamique, dont Obama avait maladroitement minimisé l’importance quelques mois auparavant.

Pour autant, il était inévitable que Washington se porte au secours des Kurdes, les meilleurs alliés des Américains dans la région et le dernier rempart face aux victoires militaires du groupe EI dans le Nord de l’Irak après les chutes de Falloudja puis Mossoul. Obama est par ailleurs resté fidèle à sa ligne directrice, en particulier sa redéfinition de l’utilisation de la force et des modalités d’engagement militaire des Etats-Unis : surveillance et frappes de drones, forces spéciales et coalition internationale, mais pas de « boots on the ground » – certes quelques milliers de soldats (conseillers militaires, vocable déjà utilisé au Vietnam), mais qui restent une présence discrète au sol indispensable pour le ciblage des frappes.

Le problème de cette stratégie bien sûr est qu’elle repose sur la présence sur le terrain de combattants par procuration : autant dire qu’elle fonctionne lorsque les Américains ont des alliés sur place, donc très bien pour le Nord de l’Irak avec les Kurdes, un peu moins déjà ailleurs en Irak (avec un problème de coordination des multiples forces combattant l’EI), mais pas du tout en Syrie (comme le dit même le département d’Etat). En Syrie, le problème n’est pas tant les combattants par procuration – il y en aurait potentiellement – que les ambiguïtés de la position américaine : combattre l’EI mais sans s’attaquer ouvertement à Assad pour éviter de faire capoter d’autres dossiers jugés prioritaires où les soutiens d’Assad, l’Iran en tête mais aussi la Russie, jouent un rôle clé. Ces ambiguïtés ont d’ailleurs été soulignées par le secrétaire à la Défense Chuck Hagel dans un mémo controversé à la Maison Blanche fin octobre, juste avant qu’il ne soit brutalement « démissionné » en novembre.

Co_Azad_Lashkari_Reuters_Peshmerga_NIraq

Le coup de théâtre cubain

Mais les midterms ont surtout été suivies de plusieurs annonces surprises qui ont pris au dépourvu la plupart des observateurs – et avaient été préparées depuis des semaines ou des mois, mais secrètement. D’abord un accord avec la Chine sur le climat, doublé d’un accord militaire pour gérer notamment les confrontations en mer de Chine, accords inattendus et porteurs, en particulier au vu de la dégradation ces dernières années des relations entre Pékin et Washington et des inquiétudes suscitées par le rapprochement sino-russe.

Une évolution majeure en Asie, suivie donc le 17 décembre d’un véritable coup de théâtre diplomatique avec l’annonce d’une nouvelle politique de réengagement américain vis-à-vis de Cuba, qualifiée par l’ancien président uruguayen Mojica d’« équivalent de la chute du mur de Berlin pour l’Amérique latine ». Il s’agit en effet d’un tournant de plus de cinquante ans, à la symbolique extrêmement forte puisque Cuba reste après tout l’échec historique majeur de la Doctrine Monroe, une tradition essentielle de la politique américaine qui inspire l’action extérieure des Etats-Unis depuis 1823. Obama avait dès 2009 évoqué la nécessité d’un changement de la politique cubaine des Etats-Unis, mais il restera le premier président à avoir réussi à renouer avec Cuba (là où Carter, Clinton avaient essayé sans succès avant lui). Là encore, comme sur l’Iran et sur le climat, il choisit de prendre le futur Congrès républicain frontalement ; reste à voir ce qu’il parviendra à faire par son pouvoir réglementaire (ce sont des décrets exécutifs qui déterminent les modalités de l’embargo), face aux interférences possibles du Congrès.

La décision présidentielle a divisé les éditorialistes (voir par exemple ces éditoriaux opposés du New York Times et du Washington Post) et les partis politiques ; côté républicain, un sénateur a été d’emblée impliqué dans les pourparlers, le sénateur Jeff Flake, et d’autres pourraient suivre, en particulier venant des Etats céréaliers intéressés par l’ouverture du marché cubain, à l’image du sénateur Moran, républicain du Kansas ; les démocrates sont globalement favorables au Congrès, à l’exception du sénateur Menendez, opposant habituel à la politique étrangère d’Obama.

Mais la décision présidentielle fait aussi écho à des évolutions récentes aux Etats-Unis, au sein de la population mais aussi de la diaspora cubaine, chez les jeunes générations moins intransigeantes mais aussi parmi certains poids lourds de la diaspora, notamment des businessmen, y compris certains des plus influents, proches de personnalités politiques démocrates ou républicaines. On voit d’ailleurs déjà l’impact potentiel du débat sur Cuba pour la présidentielle de 2016, car la diaspora cubaine est riche et influente, déterminante en Floride, Etat-clé des présidentielles US (remember 2000 et Al Gore vs. Bush – or on pourrait à nouveau avoir un Bush candidat), et partie de l’importante population hispanique (convoitée de tous côtés). La « question cubaine » semble d’ores et déjà s’inviter dans les primaires républicaines, entre les candidats d’origine cubaine Marco Rubio et Ted Cruz, mais aussi Jeb Bush donc, et bien sûr Rand Paul, qui a introduit une fois de plus une voix dissidente en politique étrangère dans son parti en soutenant l’annonce d’Obama.

Political poster on a billboard showing Cuban resistance to the American embargo nearby Cienfuegos, Cuba.Au-delà, l’évolution des relations entre les Etats-Unis et Cuba pourrait avoir d’importantes conséquences économiques à Cuba même d’abord, et permettrait aux entreprises américaines de s’introduire sur un marché en train de s’ouvrir, contre des concurrents émergents et déjà en place comme le Brésil. Une normalisation permettrait aussi de revitaliser les relations avec l’Amérique latine sur le plan diplomatique, notamment en redynamisant un soft power américain en perte de vitesse sur le continent – on pourrait en voir un premier effet lors du prochain sommet des Amériques en avril 2015, où Cuba participera pour la première fois depuis son expulsion en 1962. Enfin il faudra suivre l’évolution de la prison et du site de Guantanamo, dont Obama a fait un de ses dossiers prioritaires, demandant encore récemment à ses conseillers de tout étudier pour pouvoir fermer la prison d’ici à la fin de son mandat.

Le cap dans la tempête : smart power, diplomatie, pivot vers l’Asie

On retrouve donc les lignes directrices définies par Obama en politique étrangère, en termes de réorientation et priorité régionale, Asie Pacifique en tête (priorité confirmée par le budget 2016 du Pentagone) ; et en termes de modalités, avec le « smart power » à l’honneur, défini à la fois par l’accent sur les outils diplomatiques et le choix de nouvelles modalités d’engagements militaires. Lignes directrices qui répondent à l’analyse d’Obama de l’évolution du système international et de la place des Etats-Unis dans les relations internationales contemporaines. Le président américain maintient le cap donc, en dépit des tempêtes et en particulier des événements au Moyen-Orient, qui ont contrecarré certains de ses plans et conduit à une inflexion majeure en Afghanistan : Obama a en effet décidé le mois dernier de réautoriser les forces militaires américaines à participer à des opérations de combat après le 1er janvier 2015.

Ce qui est nouveau en revanche, c’est la volonté clairement affichée d’agir s’il le faut de manière de manière unilatérale – c’est-à-dire en usant de sa prérogative présidentielle – y compris sur des sujets controversés et sans attendre de trouver un compromis avec le Congrès.

Le récent discours de Barack Obama aux 400 membres (chiffre sans précédent) de son Conseil de sécurité national a confirmé, s’il était besoin, qu’il entend garder un contrôle étroit sur sa politique étrangère et qu’elle sera la priorité du dernier quart de sa présidence. On peut donc même s’attendre à de nouvelles surprises.