La série noire continue pour Obama sur la politique étrangère, pourtant son point fort au moment de sa réélection en 2012. Voilà donc l’Irak qui revient hanter le président américain, alors même que l’Irak a un poids particulier dans son histoire politique personnelle.

En quatre points, voici un rapide point de situation sur Obama et le chaos irakien.

Obama turning the page in Iraq

        1. L’Irak et Obama:

L’Irak, plus précisément l’opposition à la guerre en Irak, constitue sans doute le marqueur identitaire le plus fort d’Obama, puisque dès 2002 Obama déclarait que l’Irak était une « guerre stupide » (dumb war) donc avant même l’invasion (2003). Ces propos le différencient de nombreux démocrates qui vont voter pour la guerre (Hillary Clinton, John Kerry), et son opposition à la guerre en Irak joue d’ailleurs un rôle décisif dans la bataille des primaires qui l’oppose à Hillary Clinton en 2008.

Cette opposition est aussi l’une des raisons de sa victoire contre le candidat républicain John McCain lors de l’élection générale de 2008 et on peut donc considérer qu’Obama est élu sur cette promesse de mettre fin à la guerre en Irak et tourner la page des années Bush, qui deviennent également l’objectif principal de sa politique étrangère (avec deux corollaires : se concentrer sur les problèmes intérieurs notamment économiques, faire pivoter les Etats-Unis du Moyen-Orient vers l’Asie, ce second objectif restant pour l’instant davantage un objectif qu’une réalité).

Ce qu’on peut résumer en une phrase : si la politique étrangère de George W. Bush a été une réaction au 11 septembre (2001), celle d’Obama a été une réaction à cette réaction. D’où l’ironie (tragique) de la situation actuelle en Irak.

Quel est aujourd’hui le débat sur l’Irak à Washington ? En réalité, il y a deux débats en ce moment : le débat partisan, le plus présent ; et le débat sur les options possibles et l’avenir de l’Irak.

        2. L’Irak dans le débat intérieur américain (le débat partisan):

Ici il faut avant tout rappeler l’état de polarisation extrême de la vie politique à Washington, à des niveaux inédits depuis le 19e siècle. Aujourd’hui les républicains font feu de tout bois pour critiquer Obama.

Or pendant le premier mandat, ces critiques étaient concentrées sur la politique intérieure, pour diverses raisons (opposition de la population dans son ensemble à la guerre en Irak et à la politique de Bush, réaction conservatrice aux plans de relance budgétaire de la fin 2008/début 2009 et surtout au vote de la réforme de santé), tandis qu’Obama semblait protégé sur la politique extérieure (retrait d’Irak, mort de Ben Laden, Libye semblant encore un succès et printemps arabes n’ayant pas encore fait basculer la région dans le chaos).

Depuis quelques temps déjà, on assiste à un retour de bâton, qui a permis aux républicains de retrouver un de leurs angles d’attaques favoris contre les démocrates, l’accusation de faiblesse et de brader le leadership américain (critique récurrente depuis quatre décennies), avec une succession d’événements internationaux qui semblent leur donner raison : Syrie, Ukraine, mais aussi en Asie (Pékin en mer de Chine du Sud) et maintenant donc en Irak.

Au-delà, on a également une tentative de revanche des néoconservateurs qui ont mal vécu leur mise au ban de l’establishment de politique étrangère. Leurs réactions n’en sont pas moins surprenantes, par exemple quand Dick Cheney accuse Obama d’avoir perdu l’Irak sans rappeler son rôle dans le déclenchement et les modalités de l’invasion, ou quand Paul Bremer (qui a démantelé armées, polices et baasistes avec les résultats catastrophiques que l’on sait) explique que « seule l’Amérique peut sauver l’Irak ».

Ce qui est vrai, c’est que l’administration Obama n’a pas réussi à négocier l’immunité juridique et donc le maintien de quelques milliers de soldats américains en Irak après 2011, dont la présence sur place aurait peut-être pu éviter (ou atténuer) la catastrophe actuelle.

Mais ce qui est certain aussi, c’est que ce sont le gouvernement Maliki et le parlement irakien qui ont refusé de ratifier l’accord ; car à l’époque le départ des Américains arrangeait tout le monde, chiites, sunnites et Américains.

Obama troops shaking hands

        3. Le vrai débat sur les options:

Fidèle à son approche de prédilection, et à son hostilité quasi-idéologique pour toute solution militaire (au sens de l’emploi de la force, ici des bombardements), Obama a donc décidé d’envoyer 300 conseillers militaires américains sur le terrain en Irak (forces spéciales pour l’essentiel), en plus des 275 Marines déjà dépêchés pour protéger les ressortissants et ambassade américaine ; au 1er juillet, il envisagerait d’envoyer 200 soldats supplémentaires pour la protection de l’ambassade américaine sur place. Des frappes (des drones armés survolent déjà l’Irak) sont toujours « à l’étude ».

La priorité de la Maison Blanche, qui explique aussi l’extrême prudence d’Obama, est de ne pas apparaître comme appartenant à un camp dans le conflit sunnite/chiite. Par ailleurs, le facteur iranien et le lien avec la Syrie compliquent encore la donne, sur deux dossiers emblématiques et symboliques pour la politique étrangère d’Obama, l’un en raison de son activisme, l’autre à l’inverse pour sa passivité.

En réalité, les frappes potentielles doivent être aussi comprises comme un effet d’annonce destiné au débat partisan (voir ci-dessus) et notamment les critiques au Congrès. Il faut cependant rappeler ici que, si l’on entend beaucoup ces critiques (l’inévitable McCain), en réalité :

– Les démocrates sont alignés derrière la prudence présidentielle ;

– La majorité des vétérans, républicains comme démocrates, de la guerre d’Irak au Congrès sont également favorables à la prudence ;

– De même qu’une fraction importante des conservateurs donc des républicains (voir cet éditorial de Rand Paul dans le Wall Street Journal du 19 juin, pitch parfait pour un candidat à la présidentielle tant il semble en phase avec l’opinion américaine ; la question : quel impact aura-t-il sur la politique étrangère des républicains) ;

Les Américains sont divisés, les vétérans davantage favorables à la prudence que les autres, et la population reste ambivalente puisqu’elle approuve les choix d’Obama tout en désapprouvant sa politique générale (à noter cette excellente nouvelle étude du Pew Research Center qui fait une typologie politique des divisions des Américains).

Par ailleurs, des frappes aujourd’hui n’auraient ni effet ni intérêt militaire, en tout cas pas pour défendre Bagdad, déjà bien défendue et que l’EEIL n’a ni l’intention ni les moyens de prendre. Le risque étant grand pour les Etats-Unis s’ils bombardaient de passer pour la force aérienne des chiites avec des conséquences désastreuses non seulement dans la région mais également en Irak (renforcer le soutien de la population sunnite à EEIL et la cohésion de l’alliance composite qui composent les forces sunnites). C’est ce qu’ont dit Dempsey et Hagel pour le Pentagone lors de leur audition au Congrès le 18 juin.

Donc Obama a choisi l’approche indirecte, avec des forces spéciales qui pourront se partager le travail de conseil, formation et encadrement aux côtés des Iraniens (et bientôt des Russes, qui envoient également des conseillers en Irak). Les deux pays connaissent bien le terrain, les deux ont fait récemment la guerre à l’Irak.

Pour finir sur les frappes, il faut aussi rappeler que les Etats-Unis ont déjà mené cette guerre il y a quelques années, avec au plus fort 170 000 soldats sur place. Ce ne sont pas quelques frappes de drones et quelques centaines d’hommes qui pourront refaire le surge, dont le succès était lié au retournement d’une grande partie de la coalition sunnite (et des bombardements pourraient on l’a dit avoir l’effet inverse).

        4. Le lien avec le débat sur l’Afghanistan:

Il n’a pas encore été vraiment lancé, mais il est sûrement à venir : l’expérience irakienne devrait avoir un impact sur le débat sur le retrait américain d’Afghanistan. Cela dit, les deux principaux candidats à la présidentielle afghane se sont dits favorables à la signature de l’accord avec les Etats-Unis permettant le maintien d’une présence de 10 000 militaires américains sur place.

On notera par ailleurs que l’Afghanistan n’a pas la richesse pétrolière de l’Irak et donc que les forces armées afghanes sont encore plus dépendantes des Etats-Unis. Là encore, il faudra compter avec l’Iran.

Mais il faut ajouter que ceux qui critiquent aujourd’hui la politique d’Obama en Irak accusant le retrait de 2011 d’être à l’origine de la situation actuelle pourraient être les mêmes qui refuseraient de voter les crédits de financement pour la formation de l’armée afghane au Congrès.

Bref, pour conclure provisoirement, l’absence de consensus et la polarisation politique aux Etats-Unis, deux sujets dont j’ai déjà parlés ici, continuent d’avoir un impact désastreux sur la politique étrangère américaine.

 

Quelques références:

J’ai participé le 20 juin à une table-ronde dans l’émission Cultures Monde sur France Culture : « Obama face au dilemme irakien : vers une reconfiguration régionale » (à 19’)

Le blog de Michel Goya, indispensable sur la situation militaire en Irak et l’EEIL, notamment « Irak, les nouvelles armées du chaos » et « Irak, face à l’armée sunnite ».

« La stabilisation de Bagdad, 2006-2008 », excellente étude par Stéphane Taillat et Michel Goya sur le site du CDEF (s’il était besoin de montrer que des frappes de drones ne suffiront pas à résoudre le chaos irakien).

A lire : « The War between ISIS and al-Qaeda for Supremacy of the Global Jihadist Movement« : en 8 pages, une excellente synthèse sur le sujet (aux origines d’ISIS en Irak, liens et dissensions avec al-Qaeda, dimensions générationnelle, évolution)

Cet article très juste (et drôle) sur ce qu’a déclaré Obama jeudi 19 juin sur l’Irak et ce qu’il pensait vraiment. Petit extrait pour le plaisir :

What Obama said: « American forces will not be returning to combat in Iraq. »

What he was really thinking: « If you think I’m getting involved in another trillion-dollar social science experiment to intercede in Iraq, you’re crazy. I’m the extricator in chief. I get America out of unwinnable wars, not into them. If you wanted one of those, you should have voted for John McCain. »