L’actualité récente a été marquée par la victoire républicaine au Congrès (reconquête du Sénat et majorité étendue à la Chambre, la plus large depuis 1928) lors des élections de mi-mandat, et ses conséquences potentielles sur la politique d’Obama pour les deux dernières années de son mandat (voir aussi l’article précédent). L’occasion pour cette veille de revenir également sur l’impact de la polarisation partisane (mais aussi des divisions intra-partisanes, notamment chez les républicains) sur la politique étrangère américaine.
Retour sur les élections au Congrès et la victoire républicaine
Portrait des deux nouveaux hommes forts du Congrès, John Boehner et Mitch McConnell, respectivement speaker de la Chambre, en poste depuis 2011 et nouveau leader de la nouvelle majorité au Sénat et leader du Congrès, et de leur relation : sans être proches, les deux hommes ont toujours su travailler ensemble. Représentatifs du leadership du parti républicain, ils sont tous deux des « deal-makers », prêts aux compromis, plutôt que des puristes intransigeants ; ils auront tous deux à gérer les plus extrêmes de leur groupe.
Côté défense, au Sénat, John McCain va devenir le nouveau président de la Commission des forces armées : or il est l’une des figures les plus critiques non seulement de la politique étrangère d’Obama, mais aussi du Pentagone, du complexe militaro-industriel et du gaspillage dans les programmes militaires (en particulier sur le F-35). Cela promet donc des auditions intéressantes, mais aussi une focalisation du Sénat (jusqu’ici propre à la Chambre) sur un certain nombre d’affaires politiques, en particulier une relance des auditions sur Benghazi (en raison du lien à Hillary Clinton) et sur les conditions de libération du soldat Bergdahl contre cinq Talibans.
Voici par ailleurs selon Foreign Policy les cinq républicains à suivre sur la politique étrangère dans le prochain Sénat : McConnell et McCain bien sûr, mais aussi le sénateur fraichement élu Tom Cotton, vétéran d’Irak et d’Afghanistan, représentant d’une nouvelle jeune génération de faucons ; et sur une ligne proche, Jodie Ernst, première femme vétéran à être élue au Sénat ; enfin Bob Corker, qui devrait prendre la tête de la Commission des affaires étrangères, également partisan d’une ligne plus dure en politique étrangère, très critique d’Obama sur des dossiers comme l’Iran ou la Syrie – ce qui ne représentera pas beaucoup de changement par rapport à Menendez, mais il n’y aura plus Harry Reid pour bloquer les votes.
A noter que ce nouveau Congrès accueille un nombre record de nouveaux élus vétérans des dernières guerres américaines, en Irak et Afghanistan (même si le nombre total de parlementaires ayant un passé militaire continue de baisser). Au Sénat cepandant, le nombre d’anciens combattants élus augmente pour la première fois depuis 1982.
Obama a d’emblée annoncé qu’il travaillerait avec (ou qu’il mettrait au pied du mur, selon l’interprétation) le Congrès républicain sur deux dossiers essentiels de politique étrangère : la lutte contre le virus Ebola en Afrique et contre le groupe Etat Islamique. Obama a en particulier souligné qu’il demanderait au Congrès de voter une nouvelle autorisation d’emploi de la force militaire qui soit adaptée au combat actuel en Syrie et Irak.
The question : quel parti républicain a gagné les midterms ? La question est encore largement débattue, entre ceux qui considèrent que l’establishment a su reprendre la main, et donc que le Tea Party a perdu et ceux pour qui le mouvement a au contraire su faire preuve de sophistication et maturité et qu’il ne faut pas le sous-estimer pour 2016. Quoi qu’il en soit, il faut s’attendre à la poursuite de ces débats idéologiques et tactiques au sein de la nouvelle majorité, qui montre déjà des signes de division. Premiers combats à suivre : les batailles pour les présidences de commission, notamment au Sénat.
Autres aspects remarquables :
La carte électorale était défavorable au Sénat pour les démocrates, avec 15 sièges en jeu (contre 11 pour les républicains), des sondages défavorables à Obama alors que les républicains avaient réussi à nationaliser l’élection, en faisant un référendum sur la faiblesse de son gouvernement en particulier pour gérer les crises (vétérans, santé, Syrie et Irak, ebola), avec une défaite pour les démocrates dans des midterms comparable à celle de Clinton en 1994 ou Nixon en 1974.
Boehner aura un groupe républicain record, jamais vu depuis plusieurs décennies (1946 ou même depuis 1928 selon le résultat final). Il aura donc une plus grande marge de manœuvre (les extrêmes auront moins de pouvoir de nuisance).
Cette campagne a été la plus chère de l’histoire, un record souvent battu à chaque nouvelle élection américaine. Autre record, le faible intérêt de l’opinion pour ces élections.
Dans le détail : les changements à attendre à la tête des puissantes commissions parlementaires.
Enfin un rappel sur la manière dont le parti républicain a utilisé l’argument de la peur pour motiver ses électeurs et critiquer les démocrates, en particulier les événements internationaux (EI et Ebola), y compris en utilisant les images sur les décapitations de journalistes en Syrie.
Climat politique et polarisation
Dans cet article du New York Times, Bill Clinton explique « qu’il a connu pire » qu’Obama lorsqu’il était à la Maison Blanche – en termes de climat politique empoisonné et d’opposition systématique des républicains : « personne n’a encore accusé Obama de meurtre ». Certes. Mais la « triangulation », technique de Clinton pour travailler avec les centristes et exclure les extrêmes des deux partis, qui lui a en effet permis de gouverner malgré six années de Congrès républicain, ne pourrait fonctionner dans le Congrès d’aujourd’hui – car le centre y a disparu (cf. ci-dessous l’étude PEW). D’autres anecdotes dans ce papier, évoquant 40 ans d’ambiance partisane à Washington (“Those of us in the Nixon years would have gladly traded places with Bill Clinton’s White House.”)
Discours de politique étrangère de Rand Paul : peut-on parler de « doctrine Paul » ? En réalité, il partage l’ambivalence du peuple américain, qui réclame leadership et force, tout en refusant de nouveaux engagements militaires. Voir aussi ce rapport sur l’opinion américaine et la nature de ce regain « d’isolationnisme ».
Sur le même sujet, ce très bon article sur Rand Paul et le « mythe de l’isolationnisme américain », par un bon connaisseur des courants de politique étrangère aux Etats-Unis. Avec d’utiles rappels : « traiter votre opposant ‘d’isolationniste’ en politique étrangère, c’est comme le traiter de ‘socialiste’ en politique intérieure ». Un épouvantail destiné à clore plutôt qu’à provoquer le débat. L’auteur Peter Beinart rappelle par ailleurs avec raison que les positions de Rand Paul le rapprochent plutôt d’une « forme standard de réalisme en politique étrangère », ce qui n’était pas le cas pour son père, Ron Paul.
Enfin, dans le New Yorker, ce remarquable portrait de Rand (et Ron) Paul, libertaires (ou « libertariens ») de père en fils et comment cette manière de penser s’inscrit dans l’histoire politique américaine récente, et dans un rapport complexe d’amour-haine avec le parti républicain.
Toujours sur la politique partisane et la politique étrangère, un très bon article par deux professeurs de Stanford pour qui veut comprendre la vie politique américaine contemporaine en allant plus loin que les éternels constats sur la polarisation partisane, l’extrémisme des républicains et le blocage des institutions. Il faut revenir à la période charnière des années 1960 et aux événements fondateurs que constituèrent le mouvement des droits civils et la déségrégation – et leurs conséquences sur le système des partis, avec des caractéristiques et fractures encore très vives aujourd’hui.
A ce sujet, on pourra consulter cet excellent rapport du Pew Research Center sur la polarisation politique américaine (sorti en juin dernier). L’un des aspects les plus frappants est la disparition (complète) du centre politique aux Etats-Unis. Ainsi, en 1973 il y avait 269 parlementaires (sur 535) « situés idéologiquement » entre le plus conservateur des démocrates et le plus libéral (au sens américain, donc « de gauche ») des républicains – c’est-à-dire au centre de l’échiquier politique. En 2011, il n’y en avait plus aucun – plus aucune intersection entre les deux partis. Une situation politique inédite aux Etats-Unis depuis le 19e siècle.
Enfin, à ne pas rater : cet article sur l’image de chaque parti en politique étrangère, et ce qu’en dit la science politique. Plus précisément, l’auteur explique que les républicains ont repris l’avantage sur la politique étrangère dont il dispose depuis plusieurs décennies (là encore, rôle-clé de la décennie 1960), et que les démocrates leur avaient ravi pour un temps finalement éphémère, lié au traumatisme irakien puis à certaines réussites d’Obama en politique étrangère lors de son premier mandat (retrait d’Irak, mort d’Oussama Ben Laden).
Les dossiers à suivre, notamment pour le face-à-face attendu entre la Maison Blanche et le Congrès: immigration, climat, Iran.
Focus sur Obama
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