L’exécution du journaliste James Foley a-t-elle changé la donne aux Etats-Unis ? S’agit-il d’un tournant comme pourrait le laisser penser le débat actuel à Washington? Va-t-on assister à un changement de la stratégie américaine vis-à-vis de l’Etat Islamique (EI) – en clair, une implication américaine plus directe et massive?

(voir aussi sur le même sujet, « Etats-Unis Irak, le retour » et « Obama face au chaos irakien »)

James Foley, Aleppo, Syria - 07/12. Photo: Nicole Tung. Authorized use: alongside article on James Foley's kidnapping in Syria only.

L’exécution de Jim Foley, et surtout la vidéo de cette exécution, ont clairement changé le rapport des Américains à l’EI (ISIS en anglais), jusqu’ici resté une abstraction. En témoigne également le changement de ton de Barack Obama, sombre et dur, comparant l’EI à un « cancer qui doit être extirpé du Moyen-Orient ». Ces remarques présidentielles sont par ailleurs intervenues quelques heures après la reconnaissance par Washington d’une mission secrète des forces spéciales américaines en Syrie pour tenter de libérer Foley, mission qui avait échoué car le journaliste n’était plus sur les lieux repérés.

Au même moment, le chef d’Etat-major américain, le général Dempsey, a fait une déclaration remarquée indiquant que l’EI ne pouvait être défait sans s’attaquer aux bases en Syrie de l’organisation, tandis que le secrétaire à la Défense Hagel déclarait que l’EI est « l’organisation terroriste la plus sophistiquée et la mieux financée que le Pentagone ait jamais connue ».

Pour autant, dans les propos d’Obama, il n’y a pas d’annonce d’attaque massive contre ISIS ; on est plutôt dans le registre de « faire justice » – l’Amérique n’oubliera pas et trouvera les coupables de l’exécution (penser OBL).

En fait, le président Obama ne semble pas avoir changé de stratégie, malgré les critiques et les pressions, y compris au sein de sa propre équipe (mais cela n’a rien de nouveau, les dissensions internes sur la Syrie existent depuis 2011 et beaucoup ont été rendues publiques – cf. Hillary Clinton, entre autres). La stratégie Obama, donc, reste de construire une coalition, dont les Etats-Unis feront certes partie mais pas en position de leadership. Il s’agit là toujours du « genre de multilatéralisme qu’Obama préfère », comme le note cet article « Ennemi commun » de George Packer du New Yorker. L’EI semble d’ailleurs avoir aidé par ses dernières décisions qui ont fédéré ses ennemis en partenaires potentiels bien qu’improbables (lire aussi l’excellente analyse de Michel Goya).

Washington ne semble pas en tout cas vouloir s’écarter de cette approche faite de frappes aériennes limitées et de l’accent mis sur les partenariats et le multilatéralisme : on est toujours dans la même stratégie Obama, qui évoque la doctrine Nixon, comme le rappelle Defense News.

Là-dessus, Obama est d’ailleurs en phase avec l’opinion. Un sondage du Pew Research Center montre que si un nombre croissant d’Américains accepte l’idée d’une responsabilité américaine en Irak, ils sont presque aussi nombreux à craindre un nouvel engagement massif. Autre aspect notable, la fracture générationnelle flagrante dans l’attitude des Américains vis-à-vis de la situation irakienne et de l’EI : les moins de 30 ans sont beaucoup moins favorables à des frappes et beaucoup plus sensibles aux risques d’un nouvel enlisement, tandis que les plus de 65 ans sont partagés entre partisans d’une implication plus importante et crainte de l’enlisement.  

À lire aussi, ce rapport de la RAND qui a « analysé plusieurs centaines de documents financiers de l’EIIL » et en conclut que « le groupe n’a jamais dépendu de financements étrangers » : sa principale source de financement est l’exploitation des puits de pétrole sous son contrôle. L’expert recommande donc en priorité une stratégie locale (forces irakiennes et kurdes, mais aussi concertation avec Turquie, Jordanie et Syrie) pour déloger l’EI de ces zones pétrolières en Irak et en Syrie. Avec un rôle d’appoint mais marginal des Etats-Unis.

Là encore, on est bien dans la défense d’une stratégie indirecte, qui n’exclut pas les frappes ciblées (près d’une centaine depuis l’autorisation du 7 août 2014), avec un rôle américain indispensable (on le voit depuis la même date) mais sans que les Etats-Unis ne revendiquent un quelconque leadership.

Le débat devrait continuer à faire rage aux Etats-Unis mais on remarquera que les divisions sont nombreuses non seulement dans la classe politique (voir « Etats-Unis Irak, le retour » sur les divisions au Congrès), mais aussi entre politiques et experts, dont certains appellent à la prudence en minimisant le danger que représente l’EI pour les Etats-Unis et en plaidant contre toute sur-réaction (dont les Etats-Unis sont coutumiers).