Va-t-on vers une nouvelle guerre américaine au Moyen-Orient ? Le Monde m’a demandé mon analyse, que vous pouvez lire ici ou ci-dessous:

© Sipa Press
Va-t-on vers une nouvelle guerre américaine au Moyen-Orient ? Personne n’en veut, que ce soit dans la région ou aux Etats-Unis – à l’exception notable du conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, John Bolton, qui n’a jamais caché sa volonté de voir la République islamique remplacée par une démocratie libérale (si possible pro-américaine), ce qu’il estime faisable par une intervention militaire, en dépit de tous les précédents désastreux en la matière.
Donald Trump, de son côté, veut un « meilleur deal » que l’accord de 2015 (plan d’action conjoint sur le nucléaire iranien, ou JCPOA, dont les Etats-Unis sont sortis il y a un an), dont le principal défaut à ses yeux était d’être l’œuvre de Barack Obama. A ce stade, le contenu importe peu, et n’est d’ailleurs guère précisé ; ce qui compte pour Trump c’est que ce soit son « deal ».
Pression maximale
La politique de « pression maximale » par l’augmentation des sanctions vise à pousser les dirigeants iraniens à négocier sur le nucléaire mais surtout en modifiant leur politique régionale. Ce dont Trump ne veut pas, c’est d’une nouvelle guerre, et tout le monde le sait, à tel point que, comme avec Obama, ses menaces (les Tweet rageurs ayant remplacé les « lignes rouges ») n’ont guère d’effet. Face aux sanctions renforcées, les Iraniens ont jusqu’ici fait le dos rond, attendant 2020 et l’éventualité d’un autre président, restant dans l’accord en espérant des jours meilleurs.
C’est cette donne qui a changé avec la décision américaine, début mai, de supprimer les dernières exemptions qui permettaient à huit pays de continuer à acheter du pétrole iranien. Face à l’étranglement de son économie, Téhéran a menacé de diverses représailles – sortie de l’accord, actions militaires « défensives ». Trump, agacé par le peu de résultats de la « pression maximale », utilise Bolton en « bad cop » pour faire croire qu’une guerre est possible et redonner une crédibilité, donc une marge de manœuvre, à la politique américaine.
Mais on a vu, lors des frappes américaines en Syrie, que les réactions les plus négatives venaient de la base électorale de Trump, qui ne veut pas d’une nouvelle guerre au Moyen-Orient. Or, 2020 approche et c’est à sa base que Trump s’adresse en priorité. Le cœur de sa base, les chrétiens évangéliques blancs, pourrait certes soutenir une guerre si Israël était attaqué. Mais il y a peu de chance que les Iraniens prennent un tel risque. Même Israël ne veut pas de guerre – Nétanyahou venant d’être réélu, il a d’autres priorités, économiques et sécuritaires.
Dès lors, plusieurs scénarios sont possibles : une médiation par un tiers (européen, russe, chinois ?) ; une solution financière permettant de libeller les échanges de pétrole en euros ; la poursuite d’affrontements de basse intensité, « signaux » envoyés par les uns aux autres, à l’image du sabotage, a priori d’origine iranienne, sur des tankers du Golfe. Mais ce sabotage a surtout démontré la capacité iranienne à perturber les flux pétroliers, vitaux pour l’économie mondiale et les pays exportateurs de la région – et le peu d’appétence de ces mêmes pays pour une confrontation militaire avec l’Iran, en dépit des signaux antérieurs venant notamment de l’Arabie saoudite, des Emirats et d’Israël.
Une sortie de crise par un sommet Trump-Rohani apparaît comme le scénario le moins plausible, en dépit des multiples tentatives venant de la Maison Blanche depuis plus d’un an : le leadership iranien n’y voit en effet aucun intérêt – et une rencontre avec le « Grand Satan » irait contre l’essence même du régime.
La « stratégie » de Trump au Moyen-Orient concentre toutes les contradictions de sa politique étrangère, et teste plus profondément le cœur de sa promesse politique : redéfinir le rapport américain au reste du monde. Elle pose, comme sous Obama, la question de la réponse des Etats-Unis au déclin de leur puissance relative. Elle les met face à leurs responsabilités et surtout à leurs ambiguïtés : Trump a déclaré maintes fois que les Etats-Unis ne voulaient plus être le « gendarme du monde », mais il veut que les Etats-Unis restent la première puissance mondiale.
Comme Obama, Trump pense que l’avenir est en Asie, et l’adversaire principal la Chine : le « pivot vers l’Asie » exprimait et justifiait le désengagement américain du Moyen-Orient pour faire face à cette évolution. Comme après la guerre froide, les Etats-Unis n’acceptent pas « l’émergence d’une superpuissance rivale » remettant en cause leur suprématie mondiale. Le pétrole n’est qu’une variable parmi d’autres.
Déléguer la « gestion » de la région
Cette crise repose donc une question simple : les Etats-Unis peuvent-ils rester une puissance globale s’ils se désengagent du Moyen-Orient ? Mais peuvent-ils se « désengager » tout en continuant à peser sur le cours des événements, et en maintenant un important dispositif militaire sur place ? Comme Obama, Trump veut moins de responsabilités, il entend donc déléguer la « gestion » de la région. Obama faisait le pari d’une mise à distance par la réintégration de l’Iran dans le jeu régional pour équilibrer le poids d’Israël et de l’Arabie saoudite.
Le pari aurait pu fonctionner avec du temps, mais on ne le saura jamais. Trump fait un pari différent : celui de piloter à distance les événements via trois acteurs devenus les partenaires privilégiés des Etats-Unis : Israël, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, qui sont dirigés par trois proches du clan Trump, aux liens étroits et opaques avec Jared Kushner, le gendre de Trump, conseiller à la Maison Blanche, au portefeuille étendu sur le Moyen-Orient.
Trump considère que la stratégie d’Obama de normalisation par l’accord nucléaire a échoué : surtout, pour l’équipe Trump comme pour son trio d’alliés régionaux, le problème principal est la politique régionale de l’Iran (Syrie, Yémen, Liban, Palestine). Les démarches sont proches, mais l’état final recherché est très différent, surtout pour les habitants de la région.
En tout état de cause, l’issue de la crise reposera sur les réactions et relations personnelles de ces leaders – clan Trump, Benyamin Nétanyahou, Mohammed Ben Zayed et Mohammed Ben Salman –, ce qui n’est guère rassurant. Une escalade militaire partant d’un malentendu est toujours possible dans l’environnement volatil d’un Moyen-Orient déjà en proie à plusieurs guerres, et avec une présence américaine estimée à plus de 50 000 hommes et des douzaines de missions militaires dans 14 pays de la région, y compris bien sûr la base du Qatar et le QG de la Ve flotte à Bahreïn.
Sur le même thème, j’ai participé le 3 juillet à une discussion sur Mediapart Live où il a été question de l’Iran (entre autres sujets), à revoir ici
Toute action a une fin. En aucune façon la crise actuelle ne peut donner lieu à une confrontation armée.
Ceux qui veulent la guerre ne la peuvent et ceux qui i la peuvent n’en veulent pas.
Donc il n’y aura de guerre que celle voulue d’un côté et non de l’autre, à savoir la médiatique.
Salutations sincères.
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Il y a un principe intangible à l’aune duquel s’évalue toute action américaine en direction de l’Iran : »Ce dernier est une citadelle qui se prend de l’intérieur. Seulement ».
Quel est le dilemme des Israéliens ? L’Iran peut les frapper de la distance zéro au Liban; le travail accompli au Kurdistan irakien depuis les années 70 aurait pu leur donner l’opportunité de faire de même avec L’Iran mais plus que les lignes rouges et le deep state des médias, c’est l’Ein Sof même des États-Unis qui s’y est opposé.
Comme toutes les entités grandes, il y a lieu d’user d’un certain apophatisme dans le dire sur les États-Unis et leurs « déterminations ».
Le pas à-côté ne suffit pas pour enjamber le Maître.
Salutations cordiales.
N. K.
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… Ou, pour paraphraser H. KISSINGER : »[…] Conjuguer le souhaitable au possible ».
Le Possible subsume le souhaitable sans lui interdire de rêver.
:))
Salutations sincères.
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A ses collaborateurs qui lui demandèrent une explication devant la fièvre des alliés des États-Unis au Liban à en découdre avec Hafez El Assad alors que ces collaborateurs n’avaient eu vent d’aucune consigne de chauffer l’ambiance pour les besoins de quelque expédition punitive contre la Syrie, E. Mc Farland répondit, en substance: » Si nous avions annoncé à nos amis que nous avions l’intention de négocier avec Assad, ils nous auraient devancés à Damas. Laissez-les faire, nous négocierons plus à l’aise quand ils viendront demander notre protection ».
Salutations cordiales
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