Le suspens a été levé in extremis : cette année, Washington ne devrait pas infliger au monde le spectacle de son blocage institutionnel à travers un nouvel épisode de shutdown, la fermeture du gouvernement fédéral américain faute de budget voté à temps par le Congrès.

Les parlementaires américains ont en effet voté la loi de budget pour 2014, loi dite « omnibus » car elle regroupe les budgets de toutes les agences gouvernementales (et fait d’ailleurs 1582 pages, dont près de 200 concernent la défense).

Pentagon

Le budget est passé facilement à la Chambre (359 contre 67), pourtant dominée par la majorité républicaine qui a mené toutes les frondes contre Obama depuis les élections de novembre 2010 et est pour l’essentiel responsable du blocage de Washington depuis cette même date. Seuls 64 républicains ont voté contre le compromis – alors que 144 avaient voté contre la réouverture du gouvernement après les 16 jours de shutdown d’octobre dernier. Ce qui a conduit le New York Times à titrer sur « la défaite du Tea Party ».

Ce qui est certain c’est que cette loi définit la nouvelle réalité budgétaire américaine pour la fin de l’ère Obama. Mais elle a été définie en réalité par l’accord bipartisan de décembre dernier, qui résolvait l’impasse budgétaire pour deux ans (en atténuant un peu l’effet de la séquestration essentiellement par des jeux d’écriture).

Surtout, ce n’est ni vraiment une surprise ni vraiment une défaite du Tea Party : 2014 est une année électorale aux Etats-Unis (au Congrès, en novembre 2014 : renouvellement de la Chambre et d’un tiers du Sénat), et le shutdown a eu des effets désastreux sur la popularité du parti républicain, on s’en souvient. Les républicains, qui entendent conserver la Chambre et gagner le Sénat (ce qui est possible), ne voulaient pas qu’un nouveau blocage nuise à leurs chances électorales ; surtout, ils entendent concentrer leurs attaques sur Obamacare (la réforme-phare d’Obama sur la santé), dont la mise en route difficile a augmenté l’impopularité.

Ils ont donc mis momentanément de côté l’extrémisme budgétaire et ont voté selon leur situation électorale. D’autant plus que l’accord de décembre avait été négocié côté républicain par Paul Ryan, gage d’orthodoxie budgétaire (et vice-président malheureux de Romney). S’il est bon pour la Défense, c’est qu’il fallait les votes des faucons républicains à la Chambre.

Ceux qui ont voté contre l’ont fait pour diverses raisons, certains parce qu’ils sont dans des circonscriptions sûres ou sans rival, d’autres parce que menacés par une primaire à droite (notamment au Sénat, c’est le cas du leader républicain McConnell par exemple – et la majorité démocrate du Sénat garantissait de toute façon le passage de la loi), d’autres encore ont voulu prendre date pour 2016 – cf. Marco Rubio qui aura besoin des voix des plus conservateurs des Tea Party aux primaires.

Impact sur le budget du Pentagone :

Le Pentagone a été considéré comme le grand gagnant du budget, car il « gagne » 20 milliards de dollars par rapport à ce qu’imposait la séquestration (c’est-à-dire qu’il ne les perd pas).

Le budget militaire américain reste stable à 486,9 milliards de dollars pour le budget de base, et 85,2 pour les opérations extérieures (OCO), soit sensiblement les mêmes chiffres que 2013.

Par rapport à ce que demandait le Pentagone, on constate une baisse des acquisitions (- 7,5 milliards par rapport à 2013, avec notamment la baisse des commandes sur les LCS pour la Navy par exemple), et surtout de la R&D (recherche et développement, – 6,9 milliards par rapport à 2013, soit plus de 10% de baisse – une évolution notable si elle devait se poursuivre).

Sur les OCO, c’est 5,8 milliards de plus que ce que demandait la Maison Blanche et cela devrait donc servir à financer d’autres priorités notamment locales. Voir là-dessus l’analyse de Winslow Wheeler, qui rebaptise le budget OCO en « War pretext slush fund », soit la « cagnotte qui permettra de trouver des marges pour faire face au contexte plus serré ».

Walter Pincus dans le Washington Post pointe d’autres dépenses ajoutées par un Congrès qui a son propre agenda (distinct parfois de celui du Pentagone) quand il s’agit de défense , en particulier l’exemple récurrent du char Abrams, alors que le Pentagone veut fermer la ligne de production – mais pour les congressmen il y a une dimension d’emploi local. Signe que le complexe militaro-industriel dont le Congrès fait partie intégrante est toujours vivace malgré l’offensive Tea Party.

Quelques autres aspects remarquables :

La décroissance du budget du renseignement s’atténue – en clair, on passe d’une baisse à deux chiffres à une baisse à un chiffre.

L’Egypte est de retour dans le groupe de tête des bénéficiaires de l’aide extérieure américaine (après Israël et l’Afghanistan, juste devant le Pakistan suivi de la Jordanie puis de cinq pays africains, confirmant une évolution récente et notable, sur laquelle je reviendrai). Le Caire recevra ses 1,5 milliards de dollars cette année, dont 1,3 d’aide militaire, 250 millions aide économique.

Le budget cyber double et passe de 191 millions de dollars à 447 millions pour 2014. CyberCom prévoit 2000 embauches supplémentaires d’ici 2016. A noter que les dépenses dans ce domaine augmentent aussi via le budget du Department of Homeland Security.

Le budget du Pentagone prévoit également un milliard supplémentaire pour l’arsenal nucléaire américain.

Les économies qui devaient être réalisées sur l’ajustement des pensions des vétérans ont été remises partiellement en cause et les parlementaires cherchent toujours à annuler entièrement ces dispositions, voire à voter une grande loi plus généreuse pour les vétérans concernant aussi bien la santé et les retraites que d’autres domaines comme l’éducation (signe du poids politique des vétérans aux Etats-Unis, qui reste un pays en guerre).

Enfin, le budget contient comme toujours quelques « provisions secrètes », dont par exemple celle qui interdit de transférer le programme de frappes de drones de la CIA au Pentagone (via l’interdiction d’utiliser des fonds alloués par ce budget pour un tel transfert).