Plusieurs bons articles sont parus ces derniers mois qui éclairent les acteurs et le processus de décision en politique étrangère à Washington sous la présidence de Barack Obama.

Situation Room OBL Raid

Les derniers en date sont bien sûr liés à la sortie des mémoires de l’ancien secrétaire à la Défense, sous Bush puis Obama, Robert Gates (sobrement intitulées « Duty »), dont tout Washington parlait la semaine dernière.

Les articles n’ont d’abord présenté que les extraits les plus partisans et polémiques et tout le monde en a pris pour son grade :

– le vice-président Biden « qui s’est trompé sur presque tous les grands dossiers internationaux depuis 40 ans »,

– Hillary Clinton « qui a voté contre le surge irakien pour des raisons politiciennes »,

– le président Obama « qui ne croyait pas à sa propre stratégie en Afghanistan »,

– ou encore le Congrès « qu’il vaut mieux voir de loin car de près il est vraiment ‘moche’… incompétent… hypocrite… égocentrique… ».

Pour une vue d’ensemble plus apaisée, on lira la critique du New York Times, celle de Woodward dans le Washington Post, sans oublier Gates « dans le texte » avec les extraits parus dans le Wall Street Journal (de mon côté, je vous en reparlerai quand je l’aurai lu).

U.S. Secretary of State John Kerry waves as he leaves AnkaraPlusieurs articles intéressants aussi sur John Kerry et sa « méthode » comme secrétaire d’Etat.

La doctrine Kerry, une conviction et une méthode selon cet article de Foreign Policy. La conviction qui définit John Kerry en tant que secrétaire d’Etat, c’est celle du pouvoir et de la supériorité de la diplomatie sur l’outil militaire. La méthode : une diplomatie « à l’ancienne », qui repose sur les relations personnelles, la qualité du temps passé en comité restreint avec les leaders de tous bords (aussi bien Abbas que Netanyahu en l’occurrence), et surtout le choix d’une diplomatie discrète, loin des médias, donc également en comité restreint de conseillers pour éviter les fuites à Washington.

Intéressant, cet article selon lequel « Kerry défie la Maison Blanche sur l’Egypte » et en particulier Susan Rice, qui lui avait demandé lors de son voyage mi-novembre 2013 de prendre position publiquement et fermement sur le procès de Morsi : Kerry a tout simplement ignoré ces instructions. L’article rappelle que pendant toute la revue stratégique de l’été, le NSC s’est heurté à la fois au département d’Etat et à celui de la Défense, les deux voulant maintenir l’aide et le soutien américains aux militaires égyptiens – point de vue soutenu par le Congrès si l’on en croit le dernier budget qui rétablit l’aide à l’Egypte.

A lire également, ce portrait élogieux de Kerry et de sa première année au département d’Etat par le journaliste David Rohde, deux fois lauréat du Pulitzer. Il rappelle également la foi de Kerry pour la diplomatie, mais remarque que le secrétaire d’Etat fait souvent référence à la Bosnie et au Kosovo pour l’utilisation de l’outil militaire.

Enfin, cet article de Politico évoque lui l’implication de Kerry dès le début des négociations secrètes entre l’administration Obama et l’Iran (alors qu’il était encore au Sénat), processus commencé en novembre 2011 où Kerry a joué un rôle via le « canal d’Oman », sultanat habitué à jouer les intermédiaires dans la région et dont Kerry a reçu à plusieurs reprises les diplomates dans le bureau secret dont il dispose au Sénat. Le journaliste, citant des proches d’Obama, évoque le fait que Kerry a aussi été choisi parce qu’il connaissait tous les leaders notamment du Moyen-Orient personnellement, ayant passé 28 ans à la commission des affaires étrangères du Sénat américain, dont quatre comme président de cette commission. Et je n’ai pas besoin de rappeler ici que le Sénat et cette commission en particulier jouent un rôle crucial et sans commune mesure avec leur équivalent français dans la politique étrangère des Etats-Unis.

PentagonAu Pentagone en revanche, Chuck Hagel est beaucoup plus discret, à tel point que cet article sur le secrétaire à la Défense titre de manière révélatrice sur Hagel, « l’homme invisible du Pentagone ». La priorité de l’ère Obama, rappellent toutes les personnes citées dans l’article, est clairement de mettre l’accent sur la diplomatie, et de ne plus s’appuyer systématiquement sur la force militaire pour la résolution des crises actuelles (sauf pour les frappes de drones…). Même le secrétaire à la Défense Chuck Hagel considère qu’on ne peut parler d’une « ère Hagel » car la stratégie américaine est décidée à la Maison Blanche.

Sur le même thème, citons cet article de Rosa Brooks, chercheuse qui a travaillé au Pentagone du début 2009 à mi-2011 et s’intéresse ici aux relations entre la Maison Blanche et le Pentagone sous Obama. Un article au titre révélateur là encore : « Obama contre les généraux ». La relation entre Obama et ses militaires se serait en effet dégradée très rapidement dès 2009 à cause des ratés de la revue stratégique sur l’Afghanistan : Obama, déjà sceptique sur cette guerre mais jeune président sans expérience nationale ni militaire, dans un pays en guerre où la Défense a vu son budget plus que doubler en une décennie, n’a pu d’emblée écarter les avis de ses généraux – surtout quand ils avaient été « fuités » dans la presse nationale (rapport McChrystal en septembre 2009). La méfiance est restée et la suite des événements en Afghanistan aurait validé dans l’esprit d’Obama et de son équipe l’idée qu’il aurait mieux valu ne pas écouter les militaires (les mémoires de Gates reviennent également sur ce sujet du rapport entre la Maison Blanche sous Obama et les militaires).

Mais Rosa Brooks rappelle aussi très justement l’ambivalence du président Obama sur l’utilisation de la force, avec d’un côté les grandes discours sur la « fin d’une décennie de guerres », une réticence affichée vis-à-vis de l’outil militaire – et de l’autre une intensification de la campagne d’assassinats ciblés par drones sans commune mesure avec son prédécesseur, dans une guerre « secrète » qui aurait fait sous sa présidence plus de 4000 morts au Pakistan, au Yémen et en Somalie notamment (source: Bureau of Investigative Journalism).

Enfin, on terminera en citant cet excellent article de Politico Magazine : ministre, « le pire job de Washington sous Obama ». Le président est en effet connu pour travailler beaucoup plus avec un cercle étroit de conseillers, souvent des proches de sa vie antérieure ou de sa première campagne électorale, qu’avec ses ministres.