L’administration Biden n’a pas voulu abandonner le projet de « Sommet pour la démocratie » qui fait partie des promesses de campagne du Président et reflète la ligne directrice de sa politique étrangère : la compétition des modèles entre démocraties et régimes autoritaires. Mais à quelques jours du sommet « pour » la démocratie, dont les ambitions ont été revues à la baisse (première partie virtuelle cette année, sommet en présentiel l’an prochain), l’agenda et les objectifs demeurent flous autour de ce qui était pourtant l’une des promesses centrales de Biden. Retour sur la généalogie et les difficultés d’un projet aux ambitions diminuées.

Une promesse de campagne difficile à tenir

Les difficultés d’un grand « Sommet pour la démocratie » étaient nombreuses : quels pays inviter et sur quels critères ; comment insister sur la défense plutôt que sur la promotion de la démocratie, à la réputation ternie par le bilan désastreux des néoconservateurs de l’administration de George W. Bush ; enfin, comment défendre des idéaux démocratiques après l’assaut du Capitole le 6 janvier dernier et ses répercussions sur l’image des États-Unis à l’international. Le département d’État, en charge de la mise en œuvre, a multiplié les consultations avec les partenaires internationaux de Washington ainsi qu’avec des acteurs de la société civile : il a pris en compte les réticences exprimées en Europe et en Asie face à un projet qui aurait trop ressemblé à une « alliance des démocraties face à la Chine ». L’ambition a été réduite, la communication et les objectifs aussi – mais au prix d’un objet aux contours désormais flous, et dont on perçoit mal les véritables attendus de la part de Washington. La Maison Blanche a beau répéter que ce sommet n’est pas dirigé directement contre la Chine et la Russie, cette insistance s’accorde mal avec la « compétition stratégique » qui définit son approche internationale.

L’agenda est toujours en cours de finalisation à quelques jours du sommet : des proches de l’administration insistent même sur le fait que les attentes ne doivent pas être trop élevées, et qu’il ne s’agit que d’une première étape avant un second sommet « en présentiel » annoncé pour l’an prochain. On sait que le message principal portera sur « la crise des démocraties » et qu’un élément central des discussions sera la défense d’une information libre, la résilience des sociétés civiles ainsi que la lutte contre la corruption, autre axe important de la politique étrangère de Biden censé se déployer davantage l’an prochain.

Dans son article de campagne pour Foreign Affairs (mars-avril 2020), Joe Biden plaçait la régression démocratique mondiale au centre de ses préoccupations, évoquant un grand « Sommet des démocraties » autour de trois objectifs : lutte contre la corruption ; défense contre « l’autoritarisme » ; promotion des droits de l’homme dans les pays démocratiques et ailleurs. Toujours dans cette profession de foi, le Président américain faisait du combat contre la corruption un « intérêt national vital » en ce qu’elle représentait une vulnérabilité des sociétés démocratiques face aux intérêts étrangers. Il faisait appel aux sociétés civiles et au secteur privé, soulignant en particulier la responsabilité des entreprises de la Big Tech dans la préservation des sociétés démocratiques et la protection de la liberté d’expression. Il évoquait enfin la distribution d’outils favorisant la surveillance d’État et les atteintes à la vie privée, facilitant la répression et conduisant à la diffusion de la haine, de la désinformation et de la violence. Il ne détaillait pas en revanche de stratégie précise sur la défense des droits de l’homme, un sujet pourtant au cœur de « l’affrontement des modèles » entre les États-Unis et la Chine.

La régression démocratique mondiale concerne aussi les États-Unis

Après l’assaut du Capitole du 6 janvier dernier, un débat était né à Washington sur l’opportunité de maintenir cet agenda et le Sommet lui-même. Pour certains, comme Tom Wright de la Brookings Institution, l’assaut faisait du soutien américain à la démocratie une urgence renouvelée, a fortiori au vu des dimensions transnationales et internationales du « mouvement global national-populiste ». À l’inverse, James Goldgeier et Bruce Jentleson, tous deux professeurs et anciens des administrations Clinton et Obama, recommandaient dans Foreign Affairs  en janvier dernier l’abandon de l’idée, préférant un sommet exclusivement « intérieur ».

Trois rapports et classements publiés cette année – celui de Freedom House, de l’Economist Intelligence Unitet de l’International Institute for Democracy and Electoral Assistance (International IDEA) – ont mis en avant le recul quantifiable de la démocratie aux États-Unis en 2020 et en 2021.

Cette régression démocratique américaine reflète une tendance globale : le rapport de Freedom House atteste que près de 75 % de la population mondiale vivrait dans un pays qui a connu une détérioration démocratique au cours de l’année dernière. En 2020, cette régression a touché tout particulièrement des pays proches et alliés de Washington

Si les méthodes de calcul, les barèmes ainsi que les qualificatifs diffèrent, ces rapports se rejoignent sur un constat : les États-Unis ne font désormais plus partie du cortège de tête des pays les plus démocratiques au monde, et se retrouvent par exemple à la 61ème place du classement de Freedom House des démocraties mondiales. Les causes de ce recul sont multiples et parfois anciennes, mais toutes se sont accélérées depuis 2019 : le partisan gerrymandering(redécoupage électoral) américain, qui est comparé par Freedom House à ce qui se fait en Hongrie, en Jordanie ou en Malaisie, la politisation du processus de nomination et de confirmation des juges, le vote de lois à l’échelle des États rendant l’accès au vote plus difficile – qui concerne désormais 17 États selon un rapport du Brennan Center de l’Université de New York -, le poids de l’argent et des industries dans les campagnes et dans la vie législative, la corruption de la vie politique particulièrement frappante pendant l’administration Trump… 

Une vieille idée américaine, un pari risqué pour Biden

Lire la suite sur le site de l’Institut Montaigne, article écrit avec Marin Saillofest