Pourquoi Obama a-t-il finalement décidé de bombarder l’EIIL en Irak ? Plus précisément, pourquoi maintenant ? 

Plusieurs raisons semblent avoir été déterminantes.

Iraqi Kurdish Peshmerga fighters look on as smoke billows from the town of Makhmur on Aug 9

La menace contre Erbil

Raison première, annoncée par des informations de plus en plus précises dans la semaine du 4 août, c’est l’attaque surprise d’ISIS (EIIL) contre les Kurdes, qui a surpris apparemment tout le monde à commencer par les principaux intéressés, et la menace contre la capitale du Kurdistan, Erbil, dès mercredi soir 6 août – quand le chef d’Etat-major, le général Dempsey, est venu briefer Obama qui venait de clore le sommet Etats-Unis Afrique à Washington.

Dans sa déclaration officielle à la Maison Blanche le jeudi 7 août au soir, Obama annonce d’abord une opération humanitaire destinée à apporter eaux et vivres aux milliers de civils chrétiens et yézidis fuyant l’avancée d’ISIS et piégés dans les monts Sinjar dans des conditions dramatiques ; il annonce également qu’il a autorisé des frappes aériennes pour protéger les Américains présents à Erbil, et empêcher un génocide, en insistant sur la demande des autorités locales ainsi que sur le consensus international (et le risque imminent de génocide). Le Pentagone publiera peu après les premières frappes (le vendredi 8 août au matin) un communiqué sur les objectifs militaires et les moyens utilisés (voir aussi ici sur l’utilisation de drones et ici sur le nombre de sorties). Obama a rapidement précisé que l’opération risquait de durer des mois plutôt que des semaines.

Au-delà de ces justifications officielles, la chute potentielle de la capitale du Kurdistan a été la motivation déterminante, en raison de l’alliance de fait qui existe entre Américains et Kurdes irakiens depuis 23 ans, ainsi que de la présence à Erbil de nombreux Américains, diplomates, militaires et autres conseillers et agents de renseignement.

Relation spéciale

Ce n’est pas la première fois que les Américains viennent défendre les Kurdes irakiens. Déjà en 1991, alors que Saddam Hussein, laissé au pouvoir à la fin de la guerre du Golfe par Bush père, envoyait ses troupes mater une double rébellion chiite et kurde, Washington avait sous couvert d’une opération de l’ONU (Provide Comfort) mis en place et défendu une « zone de sécurité » pour les Kurdes au Nord (tout en laissant Saddam faire contre les Chiites au Sud).

Depuis 23 ans, ce soutien américain ne s’est pas démenti et a permis aux Kurdes d’Irak de prospérer dans une enclave pro-occidentale quasi-indépendante. Cette « relation spéciale » explique pour beaucoup la décision d’Obama.

La crainte d’un nouveau Benghazi

A partir de multiples entretiens avec des responsables américains et kurdes, le New York Times explique que le « tipping point », le point de basculement pour Obama a été le briefing du général Dempsey le 6 août au soir laissant craindre « un nouveau Benghazi », en référence à l’attaque contre le consulat américain en Libye qui avait conduit à la mort de l’ambassadeur américain en Libye et est devenu une affaire politique instrumentalisée par les républicains pour attaquer la politique étrangère d’Obama (et la future potentielle candidature de Hillary Clinton).

De là à dire que les frappes n’ont été décidées que pour des raisons de politique intérieure, à quelques mois d’élections de mi-mandat dangereuses pour le parti du président (les républicains risquent de reprendre la majorité du Sénat), le jugement est sans doute excessif. Il reste que la chute d’Erbil eût été objectivement un nouveau coup dur pour la politique étrangère d’Obama à quelques mois d’une échéance politique importante.

 

FA18 Super Hornet lands aboard the aircraft carrier USS George HW Bush

Le front intérieur

Du côté du Congrès, les premières réactions ont été un soutien clair du leadership parlementaire dans les 2 chambres et notamment à la tête des commissions concernées. Consensus apparent du vendredi (8/8) qui n’a pas survécu aux divers talk shows du dimanche (10/8). Les démocrates ont globalement tenu bon dans le soutien au président, tout en appelant à la prudence (démocrates anti-guerre). Tandis que les faucons républicains critiquaient une action trop tardive et insuffisante, le plus virulent étant sans surprise le sénateur McCain.

Pour l’instant, on n’entend guère les « néo-isolationnistes » (ou républicains paulistes), leur chef de file, le sénateur Rand Paul, étant resté assez silencieux, avant de déclarer qu’il était lui-même « partagé » sur l’opportunité de ces frappes. On notera que les vétérans d’Irak au Congrès soutiennent prudemment, tout en restant inquiets et vigilants. Pas de sondage d’opinion à ce jour, rappelons juste qu’à la fin 2011 les Américains soutenaient à 75% le retrait d’Irak opéré par Obama.

Signalons également la parution dans le magazine The Atlantic, avec un timing malencontreux (ou judicieux, c’est selon), d’un entretien avec Hillary Clinton sur la politique étrangère où elle critique Obama. Sur la Syrie en particulier, Clinton rappelle l’opposition d’Obama au fait d’armer les rebelles et fait un lien directe avec la détérioration de la situation en Irak. Plus largement, elle critique l’absence de stratégie internationale de Barack Obama (« Great nations need organizing principles – and ‘Don’t do stupid stuff’ is not an organizing principle »)

Obama de son côté a répété dans un entretien au New York Times que ce point de vue (croire qu’armer les rebelles pouvait tout résoudre) n’était qu’une illusion. On lira cet entretien également pour l’analyse d’Obama sur le Moyen-Orient et l’Irak, où il affirme que les Etats-Unis n’interviendront au-delà de la défense d’Erbil que s’ils ont des partenaires sur place capables de s’entendre à la fois pour se battre contre ISIS et pour gérer le pays quand ils l’en auront chassé, signe que la doctrine ou du moins le principe directeur de la philosophie Obama n’a pas changé : il n’est pas question pour les Etats-Unis d’intervenir massivement, ils se borneront à aider les partenaires qu’ils auront choisis à prendre en charge leur propre sécurité (« doctrine de responsabilité »).

Enfin cette analyse de la Brookings est intéressante sur la situation militaire actuelle, en particulier les réflexions sur les capacités des Peshmergas (qui ont déçu), et sur les talents opérationnels d’ISIS (qui ont surpris). L’expert s’interroge également sur les potentialités des frappes aériennes américaines, c’est-à-dire ce que les Etats-Unis pourront et voudront faire. Sachant que cela dépendra aussi et avant tout du processus politique en Irak, à savoir de la capacité d’un gouvernement à Bagdad d’unir chiites, kurdes et sunnites irakiens pour combattre ISIS. Pour l’instant, personne ne s’interroge trop sur l’après et les conséquences – en particulier la question, qui ne pourra que resurgir, d’un Kurdistan indépendant.