Le dossier migratoire représente sans doute le plus grand défi politique de l’année pour Biden. C’est une vulnérabilité majeure alors qu’il vient d’annoncer sa campagne présidentielle. La fin de l’état d’urgence sanitaire lié au Covid, le 11 mai, s’accompagne en effet de la levée du « Titre 42 » à la frontière, une mesure datant de la Seconde guerre mondiale que l’administration Trump avait utilisée pour refouler en masse les migrants à sa frontière Sud, et qui était encore en vigueur jusqu’à aujourd’hui.

Les chiffres donnent le vertige: en 2022, pour la première fois, plus de 2 millions de personnes ont été refoulées, dont 200 000 pour le seul mois de décembre 2022. Un « phénomène structurel », selon Alejandro Mayorkas, secrétaire à la Sécurité intérieure (DHS) et cible de la majorité républicaine à la Chambre des représentants.

Face à Donald Trump qui propose de bombarder le Mexique, à Ron DeSantis qui vient d’annoncer les mesures antimigratoires les plus strictes de l’histoire des États-Unis, la voie du président Biden, candidat à sa réélection, est étroite. La campagne présidentielle a commencé et risque de faire dérailler une politique latino-américaine à peine lancée.

Illustration Simon Toupet – Mediapart

Ma dernière chronique pour Mediapart revient sur la politique de l’administration Biden vis-à-vis de l’Amérique latine. L’élection de Joe Biden a en effet soulevé un grand espoir en Amérique latine, et elle a été suivie à Washington par un renouvellement des hauts fonctionnaires, dont plusieurs sont maintenant originaires de la région, comme Juan Gonzalez, né en Colombie et responsable Amérique latine au Conseil de sécurité nationale (NSC) de la Maison-Blanche.

Mais si les priorités affichées sont la démocratie et le développement, la politique Biden a surtout été marquée par le pragmatisme et une focalisation croissante sur le dossier migratoire, une politique que ses détracteurs appellent « Border first », « la frontière d’abord », même si elle est sous-tendue par la volonté de resserrer les liens économiques avec la région.

Lire l’article complet sur le virage sud-américain de Joe Biden, qui revient sur les deux premières années de l’administration et la politique vis-à-vis du Mexique, de l’Amérique centrale, du Venezuela et de Cuba en particulier.

J’ajoute à la suite quelques éléments sur la politique migratoire de l’administration Biden, ainsi que quelques liens sur les derniers développements à la frontière, un jour avant la levée du Titre 42.

Migration, une réalité structurelle

L’administration Biden a multiplié les nouvelles réglementations sur le droit d’asile et l’entrée aux frontières ces derniers mois, en s’appuyant , entre autres, sur des accords avec le Mexique.

Plus largement, là où Trump voulait décourager toute entrée, Biden tente d’encourager l’entrée légale pour répondre aux critiques républicaines et aux attentes de son électorat beaucoup plus pro-immigration. Il y a aussi une volonté de faciliter et d’encadrer l’accès légal sur des critères politiques, avec des quotas de dizaines de milliers de visas pour d’asile pour Cuba, Haïti, le Nicaragua et le Vénézuela.

Mais le sujet est complexe, et doit faire face au matraquage médiatique de Fox News, qui fait monter le sujet à chaque élection, avec des émissions spéciales comme “Bataille pour la frontière”, animée par le journaliste Bill Melguin qui passe son temps sur la frontière pour filmer des caravanes de migrants, et des équipements de drones de vision nocturne pour filmer au mieux. Avec un effet certain sur l’opinion: 44% des Américains pensent que le système marchait mieux sous Trump, davantage qu’il y a deux ans. Aujourd’hui, 48% des Américains font davantage confiance à Trump qu’à Biden (39%) pour contrôler l’immigration. 

Tous les chercheurs, comme les associations spécialisées et quatre administrations successives, réclament une loi du Congrès. Mais le Congrès, sur ce sujet comme d’autres, est incapable d’agir en raison de la polarisation politique, et de la transformation du parti républicain avec Trump. La dernière grande loi immigration date de 1990, sous George Bush senior. Les systèmes sont submergés, avec près d’un million de dossiers en retard, 9 millions de personnes en attente de carte verte; l’attente se compte désormais en années, parfois plus de dix ans. 

Les personnes qui se présentent à la frontière Sud des États-Unis viennent aujourd’hui du monde entier. En 2019, 92% des personnes appréhendées venaient du Mexique et du triangle Nord (Guatemala, Honduras, Salvador). En 2022, la proportion n’est plus que de 57%, et seulement 44% ces six derniers mois. Désormais la majorité vient d’autres pays, Colombie, Pérou, Inde, mais aussi Chine, Russie et Afghanistan: face à la difficulté d’arriver par avion en l’absence de visas, de plus en plus de gens tentent la frontière Sud, après des périples effroyables

Ce n’est pas un hasard si Biden n’est pas allé à la frontière pendant les deux premières années, et y est allé en janvier 2023 alors que la campagne présidentielle commençait. Mais la moindre décision est immédiatement dénoncée: 20 Etats républicains ont déjà demandé à un juge fédéral texan de bloquer les nouvelles mesures annoncées. Au Congrès, plutôt que de légiférer, la majorité républicaine à la Chambre tente de destituer Alexandro Mayorkas, le premier latino-Américain et premier immigré à diriger le département de la Sécurité intérieure, l’agence responsable de la sécurité aux frontières.

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Quelques liens supplémentaires:

Audition de Mayorkas au Congrès le 28 mars, accessible ici en intégralité, et que j’évoque en détails dans mon article tant elle éclaire la « politique de la frontière ».

Le podcast de NPR sur le sujet ce lundi: « White House Message to Migrants: the border is not open« 

Chaos et désespoir: scènes de la frontière, chez Axios.

Biden ordonne le déploiement de 1500 militaires à la frontière en prévision du chaos attendu le 11 mai.

Les interrogations sur l’avenir du droit d’asile aux Etats-Unis.

Analyse du New York Times sur les difficultés de Biden à se différencier de Trump sur le sujet migratoire, malgré les promesses.

Reportage: « Ce que j’ai vu à la frontière Sud, loin des stéréotypes« .