L’administration Biden n’a pas encore dévoilé l’ensemble de son plan climat mais le président américain vient d’envoyer les invitations pour un sommet international sur le climat le 22 avril. Tour d’horizon des contraintes intérieures et des enjeux internationaux de la politique climatique de Biden.

Au-delà d’un nouveau revirement américain sur le climat, comme de Bush à Obama, puis d’Obama à Trump, l’administration Biden a déjà donné des preuves de son ambition climatique ; dans la pratique, c’est plus compliqué :

Les Etats-Unis nous ont habitués aux revirements à chaque alternance présidentielle depuis la décennie 1990. Trump, sur ce sujet plus encore que sur d’autres, s’est attaché à anéantir le bilan d’Obama, à l’international par la sortie de l’Accord de Paris sur le climat, sur le plan intérieur par la suppression systématique des réglementations environnementales de son prédécesseur, dont plus d’une centaine ont été abolies, alors même que les énergies fossiles continuaient de bénéficier de mesures favorables sur tous les plans, la Stratégie de sécurité nationale (NSS 2017) affirmant un objectif de « domination énergétique » américaine. Biden avait présenté en juillet 2020 un programme climatique de 2000 milliards de dollars, avec de nombreux engagements pour une révolution de l’énergie propre, et des propositions beaucoup plus larges inspirées du Green New Deal d’Alexandria Occasio-Cortez, incluant donc la lutte contre les inégalités économiques, sociales et raciales américaines au cœur d’une ambition transformatrice plus large.

Décrit comme « le plan le plus ambitieux et le plus complet jamais proposé » par le spécialiste du climat Michael Mann, le projet comprend de nombreux volets, au-delà des mesures en faveur des énergies renouvelables, concernant les infrastructures, l’agriculture, les transports, la finance, la défense, et la rénovation des réseaux électriques. Au-delà de l’engagement et de « l’opportunité » créée par la pandémie (« never waste a good crisis »), la nouvelle administration doit à la fois se pencher sur le bilan Trump (révision des décrets qui ont démantelé les réglementations de l’ère Obama), et mettre à jour les projets de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Ainsi, le Clean Power Plan ne sera pas réactivé, bien qu’il soit sorti de son marasme judiciaire fin janvier 2021, car ses objectifs portant sur 2020 ont pour l’essentiel été atteints, grâce à la baisse du prix du gaz, énergie fossile moins polluante que le charbon et le pétrole : ici c’est bien le marché qui a permis de réaliser les ambitions d’Obama, malgré Trump (qui n’a pas réussi à « Make coal great again » parce que le charbon n’était tout simplement plus rentable face à l’abondance de gaz américain bon marché).

La même logique se dessine sur ce qui constitue le premier poste d’émissions de GES aux Etats-Unis : la pollution automobile. Le cas est emblématique : Obama avait mis en place une réglementation très agressive, supprimée par Trump. Mais le marché a évolué de manière extrêmement rapide : ainsi l’industrie automobile, qui s’était battue contre l’administration Obama à ses débuts et avait embrassé Trump en 2016, annonce désormais une production tout électrique et l’arrêt de la production de véhicules fossiles à l’horizon 2035. Cette évolution du marché pourrait être la principale source de résultats pour l’administration Biden sur ce volet, face aux difficultés à attendre pour toute réglementation contraignante contre les énergies fossiles au Congrès comme à la Cour Suprême. L’enjeu majeur pour Biden est en effet de garantir la pérennité des mesures qui seront prises, seule manière de rétablir la crédibilité américaine sur le climat : la meilleure voie est d’agir par la législation, mais le meilleur atout sera sans doute l’évolution du marché, qui rendra les choses aussi irréversibles qu’une loi du Congrès.

L’administration Trump avait choisi d’ignorer son propre rapport sur les conséquences du changement climatique, qui détaille les conséquences sur le territoire, la santé et l’économie américaine. Ce rapport majeur, établi par 13 agences fédérales et publié le jour de Thanksgiving 2018, annonçait une contraction de 10% de l’économie américaine si rien n’était fait d’ici la fin du siècle. Le Pentagone, précurseur dans l’étude des conséquences du changement climatique (étude pionnière en 1996), multiplie les avertissements et a déjà engagé l’adaptation. Mais le climatoscepticisme reste un marqueur essentiel des guerres culturelles américaines.

Il reste un troisième niveau d’action qui pourrait être décisif pour l’administration : le soutien à l’action des villes et des États, en particulier concernant les États côtiers, à l’Est comme à l’Ouest. Leur action climatique s’est poursuivie malgré Trump. L’enjeu majeur concerne les États de l’intérieur, en commençant par ceux dont les économies sont les plus tributaires de l’énergie fossile : Texas, Virginie occidentale, Wyoming, North Dakota, Oklahoma… Or ce sont des bastions républicains qu’il sera difficile d’entraîner. On risque de retrouver une dynamique inverse à celle prévalant sous Trump au niveau fédéral vs. fédérés, mais surtout une polarisation géographique de plus en plus marquée sur la législation climatique, avec de plus en plus « deux pays », dynamique que l’on retrouve sur des sujets toujours plus nombreux (cf. législation sur le numérique aussi).

On attend toujours que soit dévoilé le fameux « plan climat » de Biden. Dans tous les cas, les obstacles sont nombreux, notamment côté républicain où le climat, comme l’attitude vis-à-vis de la science, sont depuis longtemps des marqueurs essentiels des guerres culturelles américaines : les républicains de la décennie 2000 parlaient de « sound science », la version pré-trumpienne de la « réalité alternative ». Mais la société américaine a beaucoup évolué sur ce sujet :

Il y a aujourd’hui un soutien très large sur des propositions concrètes de lutte contre le changement climatique ou pour des énergies renouvelables, comme le montre une étude du Pew  Research Center paru en 2020 : les deux-tiers des Américains considèrent aujourd’hui que le gouvernement doit agir davantage sur le climat. Plus encore, le climat est de plus en plus la première, ou l’une des principales préoccupations des électeurs les plus jeunes, côté démocrate comme républicain.

Mais c’est aussi l’un des sujets les plus polarisés. Aujourd’hui, si certains élus républicains évoluent dans leurs positions, notamment quand ils viennent d’Etats démocrates, ou quand leurs Etats sont touchés par les conséquences de l’accélération actuelle du changement climatique sur le continent américain, ils continuent de rejeter l’Accord de Paris considéré comme anti-America First ; et mettent l’accent sur des approches technologiques, de la capture carbone à la géoingénierie solaire, plutôt que sur la réduction des émissions (position où l’on retrouve aussi certains démocrates, notamment issus d’Etats producteurs comme le sénateur Joe Manchin) ; surtout, ils restent attachés aux énergies fossiles pour des raisons liées à la géographie du vote, aux emplois qui y sont liés, mais aussi pour la défense du mode de vie américain, toujours « non-négociable » comme l’affirmait George W. Bush, et considèrent la suprématie énergétique américaine comme un déterminant essentiel de leur puissance. Rien n’est donc acquis au Congrès, même si Biden a pris soin de mettre l’accent sur les créations d’emploi. Mais des avancées restent possibles, comme l’a montré le vote en décembre 2020 (avec l’ancien Sénat républicain et sous présidence Trump donc) de la plus ambitieuse loi fédérale en termes d’investissement sur les technologies des renouvelables depuis plus d’une décennie, loi qui incluait plusieurs dizaines de milliards de dollars d’investissements sur le solaire, l’éolien, les batteries, ainsi que la recherche sur la capture et le stockage du carbone, et des avancées dans la lutte contre les gaz HFC (réfrigérants, protocole de Montréal et amendement Kigali).

Il faut ici rappeler la différence fondamentale d’approche côté américain : peu d’accent sur la réduction des émissions par les économies et la sobriété énergétiques. La notion de justice environnementale est centrale, mais elle est ancrée dans la réalité socio-historique américaine, dans une démarche distincte de l’écologie politique européenne. Sur ce point, l’approche américaine est finalement plus proche de l’approche chinoise.

A l’international, le retour américain dans l’Accord de Paris peut-il changer la donne pour le climat ?

L’impact dépendra de trois facteurs : les engagements des Etats-Unis par la voie des contributions déterminées nationalement (CDN), dont l’annonce est prévue pour le sommet du 22 avril (Climate Leaders Summit), et dont on a déjà un aperçu avec les engagements de Biden pour la neutralité carbone du secteur électrique d’ici 2035, et la neutralité carbone de toute l’économie en 2050 ; la crédibilité politique du retour américain, donc la mise en œuvre concrète de la transition énergétique américaine (et la pérennité de cette mise en œuvre, puisque depuis 20 ans les US nous ont habitués aux volte-face sur le climat) ; les effets d’entraînement sur le reste du monde : sur ce point, on a déjà vu un effet par anticipation avec les annonces ambitieuses (et vagues et lointaines) du président Xi Jiping en septembre 2020, avec l’objectif annoncé de neutralité carbone pour la Chine à l’horizon 2060.

Au-delà du retour américain, de la crédibilité et de la pérennité de leurs engagements, deux enjeux clés se dégagent à l’international, concernant les pays producteurs d’énergie fossile (dont les Etats-Unis font partie), et les pays les moins avancés, dont certains sont aussi les plus touchés, dans un contexte aggravé par la crise économique actuelle. Concernant la Chine, le véritable enjeu serait d’obtenir de la partie chinoise des objectifs intermédiaires d’ici à la COP de Glasgow. Un autre enjeu crucial, rendu possible par les avancées en la matière, sera celui de la vérification des engagements des Etats – car le risque existe que ces engagements restent des annonces, force est de le constater après 30 ans de diplomatie climatique qui ont vu les émissions mondiales de GES augmenter de plus de 60%.

Une question cruciale aujourd’hui est celle de la dynamique géopolitique qui se met en place entre les grands émetteurs, Chine, Etats-Unis, Union Européenne (et Inde) : coopération sur la gouvernance mondiale indispensable pour certains aspects, comme la protection de la biodiversité, des océans, de l’Amazonie ; compétition économique féroce pour des secteurs qui représentent l’économie de l’avenir – et sur lesquels la Chine a déjà pris une avance considérable ; conciliation de ces contraintes économiques et industrielles avec la pression des sociétés civiles et les décisions des principaux acteurs économiques.