En 1995, les accords de Dayton (conclus le 21 novembre sur une base militaire de l’Ohio et signés à Paris le 14 décembre 1995) mettaient fin à la guerre en Bosnie, grâce à l’intervention certes tardive mais décisive des Etats-Unis. Vingt ans plus tard, alors qu’en Syrie la guerre redouble, certains regardent les négociations de Dayton comme une source d’inspiration pour la Syrie. Si les similitudes existent, la comparaison est pourtant hasardeuse. Au-delà, voici quelques éléments pour cet anniversaire, sur un sujet qui me tient à coeur et sur lequel j’ai longtemps travaillé (voir ailleurs sur ce blog).

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La guerre de Bosnie a duré trois ans, de 1992 à 1995. A l’époque, la communauté internationale paraît longtemps impuissante, même si des milliers de casques bleus sont dépêchés par l’ONU dès le premier été du conflit. Paralysie et division des puissances, embargo voté hâtivement par l’ONU en 1991 mais rapidement contourné par tous ou presque, incapacité de l’Europe à agir seule, succession de conférences internationales et de plans de paix ignorés, le tout sous fond d’indignation des opinions publiques que les gouvernements croient pouvoir apaiser par un traitement humanitaire du conflit et quelques bombardements punitifs : il faudra attendre 100 000 morts et le massacre de trop à Srebrenica pour que les Etats-Unis, sous la présidence de Bill Clinton, décident enfin de s’impliquer ouvertement pour mettre fin au conflit, en choisissant un camp et en désignant les ennemis qu’il faut attaquer et vaincre. Des frappes aériennes ciblées de l’OTAN sur les positions serbes viennent opportunément soutenir l’offensive des forces bosno-croates, aidées en sous-main par Washington depuis 1993.

Dès 1993 en effet, la Maison Blanche de Clinton avait cherché à « simplifier » l’équation bosniaque, afin de faciliter un règlement du conflit : après la réconciliation sous pression américaine entre forces croates et bosniaques (Musulmanes) officialisée début 1994, Washington avait alors facilité et encouragé la remise à niveau de l’armée croate via la société militaire privée américaine MPRI, et approuvé les livraisons d’armes aux forces de la toute nouvelle « Fédération croato-musulmane » de Bosnie. La campagne de l’été 1995, qui voit l’OTAN servir de force aérienne aux troupes croato-musulmanes, va enfin modifier les rapports de forces sur le terrain permettant la fin des hostilités et la signature des accords de Dayton, en novembre 1995, qui entérinent le partage ethnique du pays tout en maintenant la fiction d’une Bosnie unitaire. Il a fallu un important investissement personnel à la fois du président Clinton (auprès de Eltsine) et de son émissaire Richard Holbrooke (auprès de Milosevic et Izetbegovic) pour stopper l’offensive croato-musulmane et éviter que son avance ne provoque l’entrée en jeu des Russes aux côtés des Serbes ; Moscou comme Belgrade ont cédé pour des raisons économiques (à partir du moment où l’honneur était sauf, c’est-à-dire où les Serbes de Bosnie évitaient une défaite trop humiliante).

Les accords de Dayton vont figer la purification et la partition ethniques du pays. Ce qui n’a pas été achevé pendant la guerre le sera peu après : en janvier 1996, les faubourgs sous contrôle serbe de Sarajevo sont remis aux autorités bosniaques, vidés de leur population (serbe). De même, des dizaines de milliers de Serbes ayant fui la Krajina ou la Slavonie sont encouragés à repeupler Srebrenica et sa région. En 1999, 70 % de la population de la Bosnie d’avant-guerre ne vivait plus dans ses foyers. 96 % des habitants de l’entité serbe étaient serbes, et les territoires respectivement contrôlés par les partenaires fédéraux étaient homogènes, à 96 % pour la partie croate, à 80 % pour la partie musulmane. La Bosnie-Herzégovine est certes maintenue dans ses frontières internationalement reconnues, mais elle divisée en entités quasi souveraines. Pire, l’échafaudage constitutionnel et juridique élaboré à Dayton va favoriser non seulement la division politique, mais aussi la paralysie des nouvelles institutions bosniennes.

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Dayton a-t-il atteint ses objectifs ? Oui si l’on considère l’objectif premier de mettre fin à la guerre en Bosnie. Non pour ce qui est de la création d’un Etat multi-ethnique. Mais sans doute cet objectif était-il par définition impossible à atteindre après plus de trois ans de combats et surtout après les déportations, les camps et les massacres.

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