La campagne américaine la plus chaotique de l’histoire politique récente a connu un premier tournant le 13 juillet avec la tentative d’assassinat contre Donald Trump.
J’étais au festival international de journalisme de Couthures-sur-Garonne ce weekend du 13-14 juillet et j’intervenais justement le 14 juillet dans une table-ronde sur Trump. J’ai donné plusieurs interviews dans la foulée, notamment au Parisien et au Nouvel Obs (voir ci-dessous), ainsi qu’à France Inter le lendemain avec Fabienne Sintes.

Tentative d’assassinat contre Donald Trump : “Il est réellement devenu le martyr qu’il prétendait être”
Propos recueillis par Ambre Bertocchi
Cette tentative d’assasinat va-t-elle avoir des conséquences sur la campagne ?
Elle a déjà transformé la dynamique de campagne. Les républicains avaient le sentiment d’avoir le vent en poupe depuis le débat entre Biden et Trump, désastreux pour le président démocrate. Désormais ils sont encore plus enthousiastes et unis derrière Donald Trump, qui a atteint un statut quasi mythique. Il est réellement devenu le martyr qu’il prétendait être.
Côté démocrate, cela perturbe le message central de la campagne de Joe Biden, axé sur la menace que Trump représente pour la démocratie américaine. Avec l’attentat, Trump est devenu une victime de la violence politique, elle-même dénoncée comme menace sur la démocratie. Les messages de soutien qui affluent du monde entier lui donnent une stature présidentielle, ce qui explique ce pivot inattendu de sa part vers un message d’unité.
Mais deux choses peuvent être vraies en même temps: Trump est aussi celui qui a le plus encouragé par ses propos et ses actes (on pense à l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021) l’augmentation de la violence politique aux Etats-Unis.
Trump peut-il “profiter” de cet événement en cultivant son image de victime héroïsée ?
Il faut reconnaître son instinct politique quelques instants après avoir échappé de peu à la mort: alors que le Secret Service l’entoure pour le protéger, il se dégage et se relève poing tendu, le visage ensanglanté, criant “fight” à ses supporters. Il fait ainsi preuve de force et d’un courage indéniable, accentuant le contraste avec son adversaire démocrate que le débat avait déjà mis en évidence. Il est parfaitement dans son personnage de rempart qui s’offre en bouclier à ses électeurs.
Son geste, politique, poing levé, s’inscrit dans un registre quasi mythologique. Trump est-il en train de réinventer son rôle de rebelle défiant l’establishment ?
Je ne dirais pas qu’il se réinvente puisque cette image déjà iconique épouse parfaitement sa posture d’homme indestructible, celle d’un combattant qui se relève de tout, et qui saura défendre les Américains quoi qu’il arrive. Sans vouloir être cynique, il ne pouvait rêver mieux. C’est littéralement la démonstration de ce qu’il prétend être depuis le début de sa campagne: un martyr et un bouclier.
Cet aspect est renforcé par les propos de ses partisans, y compris des élus républicains et jusqu’à son choix de vice-président, le sénateur J.D. Vance, qui n’ont pas hésité à accuser les démocrates d’être responsables de cette tentative d’assassinat.
L’image renforce aussi son statut mystique pour certains de ses supporters, en particulier sa base la plus fidèle et fervente, celle des chrétiens évangéliques. Là aussi, Trump a immédiatement évoqué un “miracle”, parlant d’intervention divine qui lui a permis d’échapper à la mort. Le président de la Chambre des représentants, Mike Johnson, comme de nombreux élus républicains, ont déclaré que “Dieu avait sauvé Donald Trump”.
La fragilité de Biden est au cœur de tous les débats depuis quelques semaines. Le contraste entre la force de Trump, le corps blessé mais debout, scandant “fight, fight”, et l’état physique de son adversaire est évident ?
Le contraste est en effet saisissant, même s’il faut rappeler que les deux hommes sont presque aussi âgés. On a d’un côté un candidat républicain qui survit à une tentative d’assassinat, que rien ne semble pouvoir arrêter, et de l’autre un candidat démocrate que son propre camp veut écarter depuis deux semaines.
Même si toute l’attention est sur la Convention républicaine cette semaine, il est certain que ce débat se poursuit en coulisses entre démocrates. D’un autre côté, ce changement de focale permet à Biden d’échapper un peu à l’obsession des médias sur le moindre de ses lapsus. Mais cela ne le fera pas rajeunir.
Les théories du complot sont-elles nombreuses suite à cet attentat ? De la part des internautes, des électeurs Républicains, d’officiels du parti…?
Nous avons vu en temps réel à quel point le nouveau paysage médiatique et l’ère des réseaux sociaux affectent le traitement de l’information. Les théories du complot sont apparues en temps réel, avant même la moindre analyse ou information vérifiée: il est plus rapide d’inventer quelque chose et de dire n’importe quoi que d’enquêter et vérifier les faits, surtout dans de telles circonstances.
Plus grave, des élus républicains, et même Elon Musk, le propriétaire de Twitter /X, la principale “place publique” virtuelle notamment pour les politiques et les journalistes, n’ont pas hésité à invoquer immédiatement des théories complotistes, accusant pour certains les démocrates, Biden ou même Hillary Clinton d’être derrière l’attentat. Musk n’a pas hésité à attaquer directement le Secret Service et les médias qui laissaient le temps de l’enquête à leurs journalistes et se montraient prudents dans leurs premiers titres et articles.
Trump a appelé à l’unité et Joe Biden a condamné la violence politique dans le pays. Les Américains prennent-ils conscience du danger ?
La violence politique ne cesse d’augmenter ces dernières années aux Etats-Unis. Dès 2020, le FBI déclarait le terrorisme d’origine intérieure, donc la violence politique interne, comme la première menace sur le territoire américain. L’assaut sur le Capitole le 6 janvier 2021 a représenté une étape supplémentaire. Beaucoup d’élus se retirent de la vie politique à cause des menaces constantes sur leur vie et celle de leur famille.
Ce climat de radicalisation et de violence verbale est d’autant plus inquiétant que certains élus du parti républicain l’encouragent plutôt que de chercher à calmer le jeu, et ce depuis le début de l’ère Trump.
On a assisté à une normalisation croissante de la violence politique dans les propos tenus par Trump depuis 2016 et par des élus de son parti. C’est bien cela qui décrit et alimente la radicalisation. Une étude publiée en mai dernier indiquait que 21% des Américains estimaient que la violence pouvait être justifiée pour faire avancer un objectif politique. Dans un pays de 333 millions d’habitants et qui détient le record de détention d’armes individuelles, cela représente beaucoup de monde et c’est très préoccupant.
Plus largement, qu’est ce que cette attaque dit du climat politique actuel aux Etats-Unis ? Même si ce n’est pas la première tentative d’assassinat dans l’histoire des Etats-Unis (certaines ont d’ailleurs aboutit)…
C’est en effet une “tradition” américaine, mais le climat de radicalisation actuelle et le record de nombre d’armes individuelles en circulation le rend particulièrement préoccupant. Certains, côté républicain, parlent déjà de “guerre civile froide” pour décrire le climat politique actuel.
L’assaillant était armé d’un fusil semi-automatique de type AR-15 acheté légalement par son père. Une arme fréquemment utilisée dans les tueries de masse aux Etats-Unis. Le débat sur l’encadrement des armes va-t-il être relancé, alors que Trump soutient pleinement le lobby de la NRA ?
Non, je ne me fais aucune illusion là-dessus. Il faut se souvenir que, même lorsque des enfants de maternelle avaient été victime d’une tuerie de masse, le débat sur le contrôle des armes à feu n’avait pas conduit à de nouvelles lois contraignantes. C’est une part trop importante de l’identité du parti républicain aujourd’hui, et le lobby NRA est trop fort et imbriqué dans la vie politique étatsunienne.
Entretien avec Charles de Saint-Sauveur dans Le Parisien

