L’excellente émission Cultures Monde s’intéresse cette semaine au cinquième anniversaire de l’Accord de Paris sur le climat. J’ai participé à la première émission sur les Etats-Unis, en compagnie de la chercheuse Sophie Méritet, pour discuter des perspectives ouvertes par l’élection de Joe Biden: « Etats-Unis : le retour du fils prodigue, toujours accro au pétrole ». J’en profite pour développer quelques points ici – en attendant d’avoir le temps de développer davantage.

Le « premier président du climat » 

La formule a été utilisée aussi bien par Dissent, Nature ou encore le comité éditorial du Washington Post, pour insister sur l’ambition politique de celui qui pourrait être « le premier président du climat », après une campagne présidentielle 2020 qui a mis la question du changement climatique et ses conséquences au cœur de la discussion démocrate, pour tout un faisceau de raisons (Trump, pandémie, ascension de la gauche démocrate, Green New Deal, Sunrise Movement, Alexandria Occasio Cortez etc.).

Joe Biden avait présenté en juillet 2020 un programme climatique extrêmement ambitieux (2000 milliards de dollars), avec de nombreux engagements pour une révolution de l’énergie propre, et des propositions beaucoup plus larges inspirées du Green New Deal d’AOC, incluant donc la lutte contre les inégalités économiques, sociales et raciales au cœur d’une ambition transformatrice plus large.  

L’incertitude demeure quant au sort du Sénat, dont dépend la traduction législative de l’agenda Biden. Mais même sans majorité au Sénat, une administration Biden pourrait avancer par la voie réglementaire (comme Obama, qui n’a eu un Congrès démocrate que pendant deux ans), par l’action internationale, et par la relance économique, les trois pouvant être liés. Et bien sûr l’action des villes et Etats volontaires, qui a permis d’avancer même sous Trump, se poursuivrait même en l’absence de toute action fédérale.

Le climat au cœur de la conversation politique

L’espoir est-il permis ? Biden a déclaré au soir du 7 novembre qu’il considérait avoir un mandat sur le climat, cité juste après la pandémie et l’économie dans la liste de ses priorités. Il faut bien voir qu’en l’espace de quatre ans la question du changement climatique a véritablement gagné le cœur de la vie politique américaine, non seulement lors des campagnes électorales démocrates comme parfois républicaines – car au niveau local, on retrouve des convergences bipartisanes beaucoup plus importantes que ne le laisse penser la polarisation globale du sujet.

Il y a aujourd’hui un soutien très large sur des propositions concrètes de lutte contre le changement climatique ou pour des énergies renouvelables, comme le montre cette étude du Pew : ainsi par exemple, les deux-tiers des Américains considèrent aujourd’hui que le gouvernement doit agir davantage sur le climat. Plus encore, le climat est de plus en plus la première, ou l’une des principales préoccupations des électeurs les plus jeunes, côté démocrate comme républicain.

Le climat au cœur de la politique étrangère ?

La nomination de John Kerry comme envoyé spécial sur le climat a été considérée à cet égard comme un signe important de la part du nouveau président. Plus important peut-être, le fait de lui donner un siège au Conseil de sécurité national : le NSC, au plus près du pouvoir au cœur de la Maison Blanche, coordonne les actions des différentes agences impliquées dans la politique étrangère, et son poids n’a cessé de s’accroître, aussi bien sous Obama que dans l’administration Trump.

Au-delà, la future administration Biden met, semble-t-il, « l’ambition personnelle sur le climat » parmi les critères décisifs de ses choix de recrutement.

Quel bilan Trump

Sur le bilan de l’administration Trump, je renvoie à cet article « Révolution énergétique, mépris environnemental, déni climatique » des Etats-Unis sous Trump. Trump s’est efforcé là comme ailleurs d’effacer le bilan d’Obama, qu’il s’agisse de la sortie de l’Accord de Paris ou de la suppression des réglementations environnementales, dont plus d’une centaine ont été abolies, alors même que les énergies fossiles continuaient de bénéficier de mesures favorables sur tous les plans. J’ajouterais à ce bilan la nécessaire prise en compte des acteurs autres que l’Etat fédéral, comme le soulignait cette chronique d’Hervé Gardette sur ce point (voir aussi cette mise en perspective par la Brookings).

A noter aussi que l’héritage de Trump pourrait être un peu moins dévastateur que prévu car toutes ses décisions et notamment les déréglementations de l’Agence de protection de l’environnement (EPA) ont été contestées en justice, par des ONG, des associations, des villes ou des Etats, et l’administration Trump a jusqu’ici perdu dans 82% des cas : même si le surplus de GES dans l’atmosphère est irréversible, en revanche certaines règles (ou leur suppression) n’ont pas été mises en œuvre, ce qui a limité les dégâts. Enfin, il faut mentionner la légère baisse des émissions sous Trump, liée à l’augmentation du gaz dans le mix énergétique aux dépens du charbon, pour des raisons économiques et bien malgré Trump.

Mais le rôle du pouvoir judiciaire pourrait évoluer dans le mauvais sens, en particulier pour les litiges allant jusqu’à la Cour Suprême, en raison du principal bilan de Trump, qui a renouvelé les juges dans des proportions inégalées jusqu’ici pour un président américain. Or l’audition de Amy Coney Barrett pour la Cour Suprême était inquiétante sur plusieurs points relatifs au statut de la science, comme le montrait sa réponse à une question sur le changement climatique.

Diplomatie climatique et enjeux géopolitiques du climat

Je l’ai déjà mentionné, les conditions politiques pourraient amener Biden à utiliser la politique étrangère et le climat en particulier pour faire avancer sa politique intérieure. Sans être naïf vis-à-vis de la Chine, il faut reconnaître qu’un agenda climatique ambitieux doit inclure Etats-Unis et Chine, qui sont à la fois les deux plus grandes économies et les deux plus gros pollueurs, responsables de 40% des émissions globales de GES. Le climat pourrait finalement aider Biden à faire face à ce qui constitue l’un de ses principaux défis (hors pandémie et récession…), à savoir la redéfinition de la place et du rôle des Etats-Unis dans le monde, en général et face à la Chine en particulier.

Pour finir, petite sélection biblio: