Il n’a guère été question de politique étrangère pendant la campagne, pourtant les élections au Congrès auront des conséquences sur la politique étrangère américaine jusqu’en 2020. Que peut-on en dire? (article publié d’abord dans Le Monde , reproduit ci-dessous).

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La politique étrangère n’a pas été un enjeu des midterms, avant tout un référendum sur le président Donald Trump et sa révolution nationale-populiste. En politique étrangère, cette révolution n’a pas affecté tous les dossiers – ainsi la politique de défense et les engagements militaires restent marqués par la continuité – mais représente dans d’autres domaines une véritable rupture. Or le Congrès américain joue un rôle essentiel en politique intérieure, mais aussi en politique étrangère, même si la pratique contemporaine a évolué vers une « présidence impériale ». Pour le dire simplement, en politique intérieure le président ne peut agir sans le Congrès ; en politique étrangère, il peut agir jusqu’à ce que le Congrès l’en empêche.

C’est précisément ce qui s’est produit sur plusieurs aspects cruciaux de la politique étrangère pendant les deux premières années de Trump. On a vu en effet une véritable résistance bipartisane du Congrès à certains aspects essentiels de la doctrine America First. Utilisant son pouvoir budgétaire, le Congrès a ainsi protégé le budget de la diplomatie et de l’aide extérieure, contre des coupes de 30% voulues par la Maison Blanche ; les parlementaires ont également fixé des lignes rouges en défense des alliances, de manière symbolique (résolution de soutien à l’OTAN) ou contraignantes (interdiction de financement de tout retrait de troupes américaines de Corée du Sud) – lignes rouges que Trump n’a pas franchies. Cette affirmation du Congrès en défense du rôle international des Etats-Unis et de ses moyens d’action, tout particulièrement la diplomatie, l’aide extérieure et les alliances, est d’autant plus frappante que, historiquement, le Congrès a quasiment toujours été plus isolationniste que le président : l’exemple le plus connu est le rejet en 1919 du Traité de Versailles par le Congrès américain, entraînant la non-participation des Etats-Unis à la Société des Nations voulue et portée par le président Wilson.

Que peut-on en déduire pour l’après-midterms ? Cette résistance du Congrès était bipartisane : elle devrait se maintenir après les élections et même se renforcer avec une Chambre démocrate. Le Congrès poursuivra également son travail bipartisan de développement d’une approche globale en coordination avec le Pentagone sur certains dossiers, qu’ils soient sous le radar de Trump (Afrique) ou non (Chine). Sur un plan plus symbolique, on peut attendre également le vote de nouvelles lignes rouges vis-à-vis de l’exécutif, qui pourraient être amenées par des enquêtes parlementaires.

Ce dernier point est essentiel : les démocrates détiennent désormais le pouvoir en commission, et vont lancer de nouvelles enquêtes, ce qui pourrait inciter le président à se tourner davantage vers la politique étrangère, en particulier ces grands sommets que Trump affectionne. Dans un contexte de « Maison-Blanche assiégée », les déplacements internationaux feront d’autant plus figure de répit pour Trump. Sur certains sujets, il pourrait même trouver des alliés démocrates, en particulier sur les négociations commerciales, où les élus démocrates ont à cœur de protéger (et reconquérir) les travailleurs et les régions les plus sinistrés. On ne peut par ailleurs exclure que Trump revienne sur certaines taxes à l’importation, s’il s’avère qu’elles lui ont coûté des voix décisives dans l’Amérique rurale, qui détient la clé de sa réélection.

Quelles ruptures ? La plus évidente devrait être une action immédiate pour mettre fin au soutien américain à l’Arabie Saoudite au Yémen. On peut s’attendre à une remise en question des missions des forces spéciales, et plus généralement un accent renouvelé sur le respect des droits de l’homme conditionnant l’aide américaine, y compris sécuritaire. Surtout, une Chambre démocrate lancera des enquêtes sur les interférences étrangères (Russie, Chine) aux Etats-Unis, visant les élections, l’éducation, ou les entreprises : de telles enquêtes auront des conséquences en termes de sanctions, voire au-delà. Certains éléments sont plus incertains, notamment le maintien de la présence militaire américaine en Syrie, et même en Afghanistan : les démocrates la contestent, mais Mattis sait convaincre le Congrès réticent ; s’il devait partir, tout serait possible (mais Trump le sait également).

Une chose est certaine : la campagne présidentielle commencera juste après les élections de mi-mandat ; cela ne fera rien pour apaiser le climat social et politique, surtout avec un président qui aime aller au combat : or si le résultat à la Chambre est bien un rejet de son agenda national-populiste, les sièges perdus par les démocrates au Sénat montrent que Trump conserve toutes ses chances pour 2020, étant donné le système de vote américain. Le maintien ou le départ de Mattis dira beaucoup de l’évolution de la politique étrangère de Trump. Une question fondamentale se pose, concernant la doctrine nationaliste America First : peut-on attendre des dimensions constructives après l’achèvement de l’agenda destructeur ? A suivre aussi, l’évolution du positionnement des démocrates en politique étrangère, qui sera déterminé par le rapport de force issu des élections entre centristes et progressistes. Enfin, le durcissement américain vis-à-vis de la Chine pourrait écraser tout le reste, même si la « nouvelle guerre froide » Pékin-Washington ne ressemblera pas à la précédente ; sur ce sujet au moins, le Congrès, même divisé, sera en phase avec le reste de l’administration.

Sur le Congrès et la politique étrangère, voir aussi ici.