Il n’est pas question de faire un bilan de la politique étrangère de la nouvelle administration, dont l’installation n’est même pas encore achevée. L’évaluation est possible, mais il est risqué d’en tirer des leçons : la première année de Trump, 2017, aurait pu laisser croire que « les adultes veilleraient » sur la politique étrangère ; Obama avait quant à lui reçu le prix Nobel de la Paix fin 2009, quelques mois après son discours du Caire – deux aspects emblématiques de la politique étrangère de ses premiers mois, beaucoup moins des huit années qui ont suivi.
Une première année de mandat aux États-Unis est toujours une année de priorité intérieure (Obamacare en 2009, réforme fiscale Trump en 2017), parce qu’un président américain doit agir vite avec le Congrès et utiliser habilement son capital politique, surtout en période de crise. Or, Biden doit affronter une pandémie mondiale, une situation économique instable, des inégalités au plus haut et une inflation inédite depuis 40 ans. Surtout, son mandat a débuté 15 jours après l’assaut du Capitole contre la certification de son élection ; il se déroule sous fond de prévalence du Trumpisme et d’interrogations récurrentes sur une « guerre civile » à venir. Contrairement à Obama ou Clinton, Biden n’a quasiment pas de marge au Congrès, dans un moment politique hyperpartisan où chaque parti considère l’autre comme l’ennemi.
Ces éléments et limites posés, une première évaluation reste utile : la politique étrangère de la première année de Biden confirme certaines continuités sur deux voire trois administrations, et illustre les effets de la polarisation sur la politique étrangère américaine.

Déception, clarifications, polarisation
La première impression d’ensemble est sans doute une certaine déception sur la politique étrangère, qui devait être une force de cette nouvelle administration démocrate : un président avec un demi-siècle d’expérience internationale, au Congrès pendant quatre décennies puis à la vice-présidence pendant 8 ans ; une équipe compétente, et qui avait fait son travail sur la crise de la politique étrangère américaine.
Sur le contenu, certaines grandes lignes se dégagent déjà de l’action internationale de l’administration Biden, des clarifications d’abord, manifestes à travers les continuités depuis 2 voire 3 administrations : sur la centralité de la Chine dans la politique étrangère, sur une politique commerciale plus protectionnisme et sur le désengagement confirmé du Moyen-Orient – tendances héritées de Trump, voire d’Obama.
La déception vient d’ailleurs, dans la mise en œuvre notamment (Afghanistan, AUKUS), dans une certaine passivité (Iran), et ce qu’elle traduit d’un réalisme pragmatique, parfois brutal, flagrant sur l’Afghanistan, mais que l’on retrouve aussi sur le Moyen-Orient où le désengagement est assumé sans état d’âmes, ou encore sur l’Amérique latine, où l’approche transactionnelle demeure.
Clarifications également dans les ruptures avec Trump, qu’il s’agisse du retour dans l’Accord de Paris sur le climat ou au sein de l’OMS, dans le rétablissement de l’aide à l’Autorité palestinienne ou encore dans le règlement des différends commerciaux avec l’UE. Mais ces éléments illustrent aussi ce qui est peut-être le principal problème de l’administration Biden : la polarisation partisane a gagné la politique étrangère américaine, dont certains positionnements s’inversent au gré des alternances politiques à Washington.
Cette polarisation ajoute des difficultés à la politique étrangère : elle contribue au décalage entre l’ambition affichée et la réalité des moyens, et porte davantage atteinte à la crédibilité américaine que le retrait chaotique de Kaboul. Surtout, elle multiplie les obstacles dans un domaine où le président a normalement davantage de marge de manœuvre face au Congrès.
Polarisation de la politique étrangère et crédibilité internationale
En politique intérieure, le président américain ne peut agir sans le Congrès ; en politique étrangère, il peut agir jusqu’à ce que le Congrès l’en empêche. À l’heure où les dossiers intérieurs et internationaux sont liés, dans la rhétorique de l’équipe Biden comme dans la réalité, cette imbrication se traduit aussi dans la pratique politique, et certains élus républicains n’hésitent plus à faire primer l’affrontement partisan sur l’intérêt national. Par ailleurs, force est de constater un an plus tard que Biden n’a pu incarner ni Franklin Roosevelt avec son Build Back Better, ni Lyndon Johnson avec sa réforme électorale, ni même le « président du climat », en raison de la faiblesse de la victoire démocrate au Congrès en 2020 : il n’a tout simplement pas les marges de ses ambitions.
Les revers intérieurs s’ajoutent aux crises extérieures, alors qu’on attend toujours le résultat de revues stratégique en cours, sans rien dire des postes vacants dans les ambassades comme au sein des départements d’État et de la Défense (même si de nombreux postes ont pu être confirmés à la fin décembre). En termes de vision, la multiplication des belles paroles et slogans ne donnent pas une vision claire, ou peut même donner des visions contradictoires, entre la priorité à une politique « pour les classes moyennes« , « contre les régimes autoritaires« , « pour gagner l’avenir« , ou encore « le défi existentiel du changement climatique« .
Nombre de ces objectifs dépendent par ailleurs de lois nationales, bloquées au Congrès, par la polarisation, ou simplement par les dysfonctionnements du système politique américain qui multiplie les séquences de crises auto-infligées mais peine de plus en plus à accomplir quoi que ce soit. Le secrétaire à la Défense de Bush et Obama, Robert Gates, disait en 2014 que la plus grande menace sur le pays venait des dysfonctionnements politiques internes : cette menace n’a fait que croître avec Trump, qui a gouverné en attisant les divisions internes, et dont l’équipe a multiplié les décisions de dernière minute et les blocages à la passation des dossiers.
Les obstacles des républicains du Sénat sur la simple mise en place de l’administration, la multiplication des revues stratégiques, liée à la volonté de « réparer les dégâts » de Trump, la volonté de rétablir les processus d’élaboration et mise en œuvre, tout cela prend du temps. Les partenaires s’inquiètent et ont des doutes, les adversaires testent, profitent ou avancent des pions. Chacun, ami comme ennemi, observe la situation intérieure américaine et en tire ses conclusions : la principale est celle d’un défaut de crédibilité américaine à l’international, qui vient des difficultés de plus en plus flagrantes du pays à fonctionner.
Grandes lignes et principaux dossiers
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C’est dans le conflit Ukrainien que nous allons voir le vrai Biden.
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