En ce début d’année, je voudrais remercier mes lecteurs, et tout particulièrement les abonnés de Froggy Bottom, pour leur intérêt. A tous, je présente mes meilleurs vœux pour 2018. Je continuerai à relayer ici mes publications et articles, bien que je ne puisse plus poster aussi souvent qu’auparavant.
Je livre à la suite quelques réflexions sur la politique étrangère de Trump et ce qui nous attend en 2018, réflexions inspirées du très bon article de Pierre Vimont, « L’ordre international face à l’Amérique de Trump », paru dans le dernier numéro de la revue Politique Etrangère (4 :2017). Les extraits sont en gras, suivis de mes commentaires.
« Les partenaires de l’Amérique se demandent si la présidence Trump va poursuivre son cours erratique ou, au contraire, trouver progressivement un équilibre plus rassurant sous l’influence d’un entourage moins imprévisible ».
Je dirais qu’il y a une troisième hypothèse : que la politique étrangère de Trump se stabilise, mais sous l’influence d’un entourage progressivement remanié dans le sens de ses « instincts » et d’une doctrine « America First » qui irait se précisant. Le processus est en cours.
Comme le veut l’expression américaine, « personnel is policy ». Cette phrase, entendue très souvent ces temps-ci à Washington, qui éclaire les batailles féroces qui ont lieu en coulisses entre la Maison Blanche et le département d’Etat en particulier sur les nominations (batailles qui expliquent aussi le nombre de postes toujours vacants). Or certaines nominations récentes, comme certains départs annoncés, pourraient atténuer les divisions dans l’équipe de politique étrangère, aux dépens des « adultes ».
« Selon qu’on minimise ou, au contraire, exagère les effets perturbateurs de l’administration Trump, des attitudes différentes s’imposent. Soit les partenaires des Etats-Unis font le dos rond et se bornent à limiter les dégâts en espérant qu’à terme l’influence positive de son entourage conduira le président américain à donner un cours moins erratique à sa diplomatie ; soit ils concluent que, en présence d’un changement de fond des orientations de la politique étrangère des US, il leur faut agir sans plus attendre ».
Sans préjuger de la durée de la présidence Trump, il reste qu’il y a une cohérence et une ligne claires dans la, ou plutôt les doctrines respectives de ceux qui veulent saisir l’instant Trump pour avancer leur carrière et/ou leurs idées.
Il y a aujourd’hui une lutte aux Etats-Unis pour préciser les contours de la doctrine « America First », lutte qui explique les incertitudes sur le trumpisme en politique étrangère et ses incohérences : on l’a encore vu le 18/12 avec le décalage entre le contenu de la nouvelle stratégie de sécurité nationale et le discours de Trump la présentant au public.
Nous ne sommes qu’au début d’un processus. Si l’élection de Trump est l’aboutissement de plusieurs tendances de fond politiques, sociales, et économiques depuis plusieurs décennies, son arrivée au pouvoir marque le début de nouveaux « changements tectoniques » au sein des partis politiques, en particulier au parti républicain. La « guerre civile républicaine » (GOP civil war) bat son plein. En politique étrangère, la bataille des idées est intense et il y a des points de vue très variés sur l’ordre international.
« Pourtant et d’évidence, l’ordre international est à la recherche d’un nouvel équilibre qui pourrait lui rendre de la stabilité et de la sécurité. Cette quête vaut dans tous les domaines… »
La question serait plutôt de savoir qui, parmi les principaux acteurs du système international, recherche un nouvel ordre et entend le promouvoir et le défendre – en l’occurrence, sans doute pas tous les acteurs. Or si les plus puissants ne pensent pas en avoir besoin, la quête risque de s’avérer plus compliquée. On songe à la Russie, mais aussi à la Chine, qui n’a que peu de respect pour l’ensemble de règles et valeurs défendues par les Européens, et qui, si elle a intérêt au maintien d’un certain ordre libéral sur le plan économique, a déjà entrepris de le faire évoluer en le recentrant sur elle-même, aux dépens des Occidentaux. Par ailleurs, l’année 2017 a été marquée par de nouveaux reculs du multilatéralisme, souvent du fait des Etats-Unis mais pas uniquement.
S’il y a un consensus aujourd’hui à Washington, c’est le suivant : la période post-guerre froide se termine, nous assistons au retour de la « géopolitique », une manière de décrire un monde où les grandes puissances règnent sur leurs sphères d’influence – vision hobbesienne qui est celle de Trump et avait été mise en avant par son conseiller à la Sécurité nationale dans un éditorial du Wall Street Journal en mai dernier.
« La disparition de l’affrontement binaire né de la guerre froide, puis l’arrivée sur la scène mondiale des nouveaux pays émergents, et la crise financière de 2008, ont profondément modifié la perception du camp occidental par les autres partenaires internationaux ».
« Face à cette opposition le leadership américain a évidemment un rôle essentiel à jouer. Obama avait bien compris l’acuité du problème (…) Ces efforts n’ont pas abouti mais ils témoignaient d’une prise de conscience vis-à-vis des changements en cours dans l’ordre mondial. »
Vimont poursuit en affirmant que Trump paraît « se désintéresser » de cette évolution du monde.
Or il me semble au contraire que le constat de l’évolution des rapports de puissance, et l’idée que les Etats-Unis « se font avoir » (bad deal) en raison justement de leur politique étrangère, étaient au cœur de la campagne de Trump, et s’exprimaient par ses propos sur le commerce et le libre-échange, sur les alliances ou encore sur l’ONU et l’OMC. Il y a bien là une vision alternative de l’évolution du système international et des rapports de puissance : cette analyse diffère de celle d’Obama en particulier, et sa traduction politique est donc différente, notamment en ce qui concerne l’ordre international.
Le problème, bien souligné par Vimont, c’est qu’ « un nouvel ordre doit se construire sur la réalité de la puissance telle qu’elle apparaît aujourd’hui. Chine, Russie, Europe, sans oublier les autres pays émergents, seront des acteurs incontournables. Mais, comme en 1945, les Etats-Unis doivent également y trouver leur place. C’est là que les choix de Trump vont peser lourd ».
En effet, et c’est donc pour cette raison qu’il faut prêter attention aux rapports de force et surtout à l’issue de la bataille en cours entre des néoconservateurs cachés sous les habits d’un « réalisme avec des principes » (principled realism, qui ressemblent à du néoconservatisme sans idéalisme, c’est-à-dire juste à du militarisme interventionniste), et un courant plus « libertarien » qui défend une politique étrangère beaucoup plus proche du réalisme isolationniste tendance Ron Paul ou Steven Walt.
Quoi qu’il en soit, l’année 2018 sera décisive pour l’issue du combat entre les populistes et le système, entre la ligne America First et celle des adultes, entre le « deep state » et une bureaucratie renouvelée.
Deux très bons articles à lire sur le sujet :
“Rise of the Reactionaries: The American Far Right and U.S. Foreign Policy” de Iskander Rehman, dans le dernier numéro du Washington Quarterly (Winter 2018).
“Donald Trump’s Brains” de Jacob Heilbrunn, dans le dernier numéro de la New York Review of Books (December 21, 2017).
Ailleurs sur le blog :
« Une grille de lecture pour la politique étrangère de Trump«
Ce que j’écrivais il y a un an sur la politique étrangère à attendre de Trump : « Président Trump, quelle politique étrangère ? Quelques clés d’analyse »
Quelques éléments sur « La Russie, la Chine et l’ordre international libéral »
Voici, me semble-t-il le coeur de l’explication de M. Vimont : » Les ressorts de la diplomatie de Donald Trump sont donc d’ordre intérieur. Ils traduisent un retour de flamme des thèses isolationnistes, mais ils représentent également – ce qui est plus nouveau – une contestation de l’ordre libéral mondial qui n’a su ni reconnaître les efforts militaires américains en Afghanistan ou en Irak, ni trouver de parade aux déséquilibres économiques qui affectent la population américaine. En somme, la diplomatie de Donald Trump prend ses distances vis-à-vis des valeurs mêmes qui ont inspiré dans le passé l’action internationale de l’Amérique et, au-delà, l’ordre mondial. »
Laissons de côté la question d’Irak et d’Afghanistan dont nombre de stratèges avaient bien vu que leurs fondements et leurs objectifs étaient erronés ; Brzezinski, disait que l’on ne peut pas faire » la guerre au terrorisme » ; c’est comme si nous appelions la guerre contre l’Allemagne nazie, « la guerre contre le blitzkrieg ». Il me semble enfin que les Etats Unis n’ont plus de penseurs ou de stratèges en situation d’impulser une véritable stratégie fondée sur des valeurs américaines en dehors du « boum-boum » perpétuel.
Où sont les Ball, Bundy, Rusk…Certes, le couple Kagan-Nuland se prenait pour Mars, ce qui n’a pas fait bondir mon chat. Peut-être faut-il relire Mc Namara pour saisir le degré d’infantilisme que sécrète tout pouvoir, en particulier celui de n’écouter personne, et surtout pas ses amis.
Le plus inquiétant est qu’il ne faut pas occulter le fait que les Etats Unis sont entrés dans une ère de détresse intérieure, thèse que développe Nicholas Eberstadt publié dans Commentary en mars 2017, » Our miserable 21st century », et repris par Commentaire de J.C Casanova, Automne 2017. Dans Commentary, que personne ne peut qualifier de revue marxiste ou rebelle, il est fait un portrait tragique des Etats Unis, aussi bien en matière d’ascension sociale, que de faiblesse de l’économie ou de détérioration de la santé en particulier l’épidémie d’opiacés et la diminution de l’espérance de vie.
La question essentielle est de savoir si la Présidence et le Congrès iront vers un contrôle du pouvoir militaire et sécuritaire, et donc vers une réaffectation des politiques publiques et des investissements fédéraux vers les plus démunis. Personne n’y croit un seul instant.
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