Les deux chambres du Congrès américain ont donc voté hier avec succès pour rejeter le veto du président Obama contre la proposition de loi JASTA (Justice Against Sponsors of Terrorism Act), dont le but est de permettre aux victimes américaines du terrorisme international depuis le 11 septembre 2001 de poursuivre dans des cours américaines les Etats étrangers qui en seraient responsables. L’Arabie Saoudite n’est citée à aucun moment dans le texte de la loi, mais elle est la première visée.

(Ce post aurait pu s’appeler « le poids de l’opinion publique dans la politique étrangère américaine »).

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Plus précisément, l’objet de cette loi est d’amender une loi précédente, FSIA pour Foreign Sovereign Immunities Act, qui codifiait l’immunité des Etats étrangers dans les cours américaines, une disposition relativement classique dont les Etats-Unis bénéficient à leur tour à l’étranger (lire ici pour un exposé juridique précis et critique sur la loi elle-même et surtout sur sa dernière version, largement édulcorée par rapport au projet de départ).

Théoriquement donc, les familles des victimes du 11 septembre 2001 peuvent à présent poursuivre l’Arabie Saoudite dans des cours américaines. La crainte, et la raison du veto d’Obama, qu’il expliquait dans une lettre de trois pages au Congrès, est que les Etats-Unis puissent être également poursuivis en rétorsion, et que cela mette en particulier leurs militaires basés à l’étranger en danger.

Quels enseignements peut-on tirer de ce double vote ?

Un vote historique

capitolC’est la première fois sous Obama qu’un veto présidentiel est rejeté par le Congrès. Rappelons que selon le principe de séparation et équilibre des pouvoirs, le président américain peut mettre son veto à une loi votée par le Congrès, veto qui peut être ensuite rejeté par un vote des deux tiers dans chaque chambre du Congrès.

Il est cependant particulièrement rare que le Congrès rejette un veto présidentiel en politique étrangère (sur le rôle du Congrès en politique étrangère, voir ici et ici par exemple). La dernière fois était en 1986, lorsque le Congrès a voté puis donc revoté contre le veto du président Reagan une loi de sanctions contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud. Cela a failli aussi se produire en 1995 au sujet de la Bosnie, quand les deux chambres ont voté avec des marges suffisantes la levée de l’embargo sur les armes à destination des Bosniaques (Clinton a mis son veto puis a réinvesti les Etats-Unis dans le règlement du conflit, en partie en raison de ce vote du Congrès – mais je m’égare… lire ici).

Pour revenir à l’Arabie Saoudite, au Congrès et à Obama :

La montée du sentiment anti-saoudien

Il était difficile de voter contre (impression de voter contre les victimes du terrorisme…) dans le contexte électoral présidentiel mais aussi parlementaire actuel, et Obama l’a lui-même souligné. On notera d’ailleurs que quelques minutes après le vote, près d’un tiers du Sénat signait une lettre évoquant la nécessité de corriger la loi par des amendements, afin d’éviter des mesures de rétorsion – amendements qui seront considérés après les élections, pendant la session lame-duck du Congrès, avant l’installation des nouveaux élus de la Maison Blanche et du Congrès en janvier 2017 ; une démarche moins risquée électoralement à défaut d’être courageuse.

Pour certains élus républicains, il s’agissait avant tout de voter une dernière fois contre Obama, une constante de l’action parlementaire républicaine depuis l’élection d’Obama.

Mais le vote est indéniablement le signe de la montée d’un sentiment anti-saoudien au Congrès, reflet du même phénomène dans la population, qui s’est déjà exprimé récemment sur la guerre au Yémen et le soutien américain à l’Arabie Saoudite, notamment via des ventes d’armes. La fronde menée par le sénateur démocrate du Connecticut Chris Murphy, en partenariat avec le républicain et ancien candidat aux primaires Rand Paul, a certes échoué mais eu le mérite d’ouvrir un débat public sur cette question (tout le monde ne peut pas en dire autant).

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A noter d’ailleurs qu’Obama n’est pas complètement étranger au phénomène, même si les ventes d’armes américaines aux Saoudiens ont battu des records sous sa présidence ; mais il est particulièrement ironique de voir Obama se retrouver en défenseur d’un allié qu’il a souvent critiqué, comme je le rappelais ici.

On notera par ailleurs que Hillary Clinton comme Donald Trump se sont prononcés pour la loi, donc contre le veto d’Obama, ce qui n’a pas dû rassurer des Saoudiens déjà peu enthousiasmés par les deux principaux candidats à la présidentielle.

L’Arabie Saoudite n’a pas dit son dernier mot. Le royaume est déjà en train de préparer ses lobbyistes en vue des amendements qui devraient être apportés à la loi après les élections du 8 novembre prochain. On peut s’attendre à ce que la loi soit amendée, voire vidée de toute substance.

Mais ce dernier épisode confirme que la relation américano-saoudienne est entrée dans une zone de turbulences, voire dans une période de transition – mais vers quel nouvel état final ? Le prochain président américain aura à cet égard un rôle-clé à jouer.