L’IRSEM vient de mettre en ligne l’étude que j’ai co-dirigée avec Maud Quessard-Salvaing de l’Université de Poitiers sur  « les stratégies du smart power américain : redéfinir le leadership dans un monde post-américain ».

Cette étude propose une analyse inédite des redéfinitions de la puissance américaine et de son leadership en examinant l’ensemble des outils du smart power mis en avant par l’administration Obama. Il s’agit de cerner les contours de cette stratégie du « réalisme intelligent » (ou stratégie Obama) en politique étrangère, d’en examiner le contenu et les limites, afin de présenter un premier bilan de l’action internationale des Etats-Unis sous Obama, à l’heure où le président américain entame la dernière moitié de son dernier mandat.

Statue of Liberty

L’étude peut être téléchargée en intégralité ici. Il s’agit de la publication des actes d’un colloque que nous avions organisé à Poitiers en octobre 2013 et dont on peut visionner l’ensemble des interventions ici.

En voici une synthèse, qui en résume l’objet, les enjeux ainsi que les principales conclusions.

Définition et genèse du smart power :

Deux principes peuvent définir la politique étrangère américaine et la vision de Barack Obama :

  • s’adapter aux nouvelles menaces du 21e siècle et aux nouveaux défis d’un « monde multipolaire » ;
  • se démarquer de l’hubris de son prédécesseur George W. Bush, dont les deux mandats avaient été caractérisés par un interventionnisme et un unilatéralisme forcenés.

Pour incarner et traduire cette vision et ces objectifs, l’administration Obama a, dès son arrivée aux affaires, mis en avant une conception nouvelle de sa politique étrangère, (re)définie par le « smart power », un pouvoir « intelligent », nouvelle et habile combinaison du hard et du soft power, devant assurer à l’Amérique la restauration et le maintien de son leadership.

Rhétorique visant à redynamiser le soft power américain émoussé par les années Bush ou véritable stratégie d’avant-garde ? Le smart power s’inscrit dans une réflexion de longue date portée par le politologue et ancien sous-secrétaire d’Etat de l’administration Clinton, Joseph Nye. En 2007 il est co-auteur avec Richard L. Armitage, lui-même ancien du département de la Défense de George W. Bush, d’un rapport sur le smart power, visant à adapter la politique étrangère américaine aux crises et du 21e siècle.

 

Contours et contenu du smart power :

  • Une utilisation du hard power plus mesurée, plus ciblée, plus discrète

Cette « doctrine Obama » en politique étrangère a pu se traduire concrètement sur le volet militaire par diverses stratégies, « l’empreinte légère » (light footprint) notamment en Afrique, ou le « leadership en retrait » (leading from behind) en Libye ; ailleurs, comme en Europe, en Asie ou dans le Golfe, elle a reposé sur le recours aux alliés et l’approfondissement des partenariats stratégiques, avec la volonté non plus seulement de partager mais également de transférer une partie du fardeau de la sécurité régionale aux alliés des Etats-Unis (du burden-sharing au burden-shifting).

  • Un soft power adapté aux « relations asymétriques » et transgouvernementales

Le département d’Etat de son côté a élaboré de nouvelles initiatives de coopération « intelligente » avec l’ensemble des partenaires des Etats-Unis, étatiques et privés, ainsi qu’une grande stratégie, la QDDR, à l’image de la revue stratégique quadriennale (QDR) du Pentagone. Il a également poursuivi « le virage numérique » emprunté à la fin des années Bush sur la modernisation des outils de la diplomatie publique américaine. Sur le terrain, elle se traduit concrètement par une coopération avec tous les différents acteurs de la sphère publique para-gouvernementale (chefs d’entreprises, institutions, ONG, simples citoyens), démarche qui place les Etats-Unis à l’avant-garde de la diplomatie 2.0.

  • Le rééquilibrage des sphères d’influence et d’action de la politique étrangère américaine : Pivoter vers l’Asie, se désengager du Moyen-Orient, redéfinir la place des Etats-Unis en Europe

En Asie, nouvelle priorité stratégique affichée par Washington, l’administration Obama a pris garde de ne pas enfermer son face-à-face annoncé et de plus en plus instable avec Pékin dans une dimension uniquement militaire, où le risque de conflit deviendrait de plus en plus important. La volonté américaine de « pivoter vers l’Asie » reste un objectif de long terme qui fait l’objet d’un accord bipartisan aux Etats-Unis.

Mais elle exprime aussi une volonté de se désengager du Moyen-Orient, au moins d’un point de vue militaire. Rejet de l’option militaire également très caractéristique, du smart power comme de l’administration Obama, qui a sans cesse cherché à remettre à l’honneur la diplomatie pour remplacer le militaire par d’autres leviers d’influence et restaurer le soft power des Etats-Unis.

Cette recherche s’est également traduite par la volonté de recourir davantage aux alliés de l’Amérique, au premier rang desquels les Européens, censés jouer un rôle dans les nouvelles stratégies de smart power américain, en Europe-même comme en Afrique.

 

Quelles conclusions peut-on tirer de l’étude ?

Le smart power comme stratégie traduit le retour à une forme de réalisme dans la politique étrangère américaine, en rupture avec les théories néoconservatrices qui avaient inspiré le premier mandat de George W. Bush.

1. Cette « approche-Obama » des enjeux planétaires s’est montrée plus nuancée que celle de son prédécesseur, mais elle semble parfois peiner à faire la preuve de son efficacité et de sa subtilité.

2. En Asie, à la fois priorité stratégique et lieu d’élaboration par excellence de ce nouveau smart power, on constate plutôt une demande et une utilité relative du hard power en hausse dans la région.

3. Le smart power apparaît parfois avant tout comme une approche Obama privilégiant à tout prix l’inaction sur l’action stratégique, avec des conséquences parfois dramatiques comme on peut l’observer aujourd’hui au Moyen-Orient (Syrie, Irak…).

4. Enfin, la politique économique étrangère, à la croisée du hard et du soft power, pourrait être finalement la véritable traduction d’un smart power inventé par l’administration Obama. Encore faudrait-il que cette nouvelle diplomatie économique fasse les preuves de son efficacité et produise des résultats, ce qui n’est pas encore acquis, ni en Asie, ni en Europe, au moment où paraît cette étude.